Cet article a été publié sur le site : https://www.culture-tops.fr/critique-evenement/dvd/le-cinema-policier-francais-100-films-100-realisateurs
Le livre, élégant, à la belle couverture, est agréable.
Le genre policier est un domaine privilégié du cinéma français depuis qu’il existe. Il est le plus important d’Europe. Cela commence à peu près en 1901 avec Ferdinand Zecca et Louis Feuillade (Les Vampires, plus tard Judex, Fantômas), jusqu’à nos jours. C’est un univers longtemps en noir et blanc (la couleur n’apporte rien), aux approches variées, dominé par le désir d’intriguer ou de faire peur, avec des gens pas toujours très sympathiques, mais aussi à l’esthétique souvent très recherchée.
Ici, le but du jeu est de présenter 100 réalisateurs avec UN seul de leurs films (parfois nombreux) : le plus emblématique de leur style, de leur intérêt et de l’accueil que lui fit le public. Trier les pépites de cette abondante fortune n’était pas évident. Le résultat est assez beau, très documenté, illustré de photos de plateau assez rares, de commentaires judicieux (des potins de tournages !!!).
Sans être trop savant (c’est l’anti-Patrick Brion), cet ouvrage est avenant, souvent amusant tout en étant sérieux, bien que parcellaire. Le choix d’une présentation chronologique est excellent : il permet d’aborder tous les styles, du comique ou parodique au très dramatique, la comédie policière, les histoires vraies, les études de mœurs et les délires assassins. L’ensemble est assez violent, présente la noirceur humaine, mais reste très fréquentable, rappelle souvent de bons souvenirs, de chaudes émotions dans les salles obscures...
L’auteur
Jean Ollé-Laprune est un passionné éclairé de cinéma, fin connaisseur de polars, analyste brillant. Cofondateur des Chaînes Ciné Cinéma et Ciné Classiques pour le Groupe Canal, il a aussi créé Ciné Kino pour Arte. Il est l’auteur d’ouvrages sur le 7ème Art, tout comme il aime, lorsqu’il le peut, aller sur les tournages. Dans le présent opus, il assouvit sa soif du polar et en dessine les contours avec brio.
Tour d’horizon
Il y a les grands d’avant-guerre : Pierre Chenal, Marcel Carné, Jean Renoir (La Chienne), le premier Gabin-voyou (Cœur de Lilas) avec Litvak, Julien Duvivier, Maurice Tourneur, Clouzot (Le Corbeau). À la fin des années 1950, on a l’apogée du film noir avec les mecs en costume croisé, les poules, les ménagères et les 4 CV avec l’incontournable trio : Le Grisbi de Jacques Becker, Razzia sur la chnouf d’Henri Decoin, le Riffifi de Jules Dassin... Suivra le règne de Jean Gabin, puis celui de Lino Ventura, d’Alain Delon. Henri Verneuil réussit l’exploit en 1969 de les réunir dans Le Clan des Siciliens.
Louis Malle inaugure la Nouvelle Vague avec le flambant Ascenseur pour l’échafaud. Après viennent Jean-Luc Godard, François Truffaut, Georges Lautner, Jacques Deray, Constantin Costa-Gavras, Jean-Pierre Melville de Bob le flambeur au Cercle rouge, Claude Sautet et ses ferrailleurs, la prise de pouvoir de Gérard Depardieu (Claude Miller) et de Patrick Dewaere (Yves Boisset).
Ensuite, c’est plus varié, avec des comédies, de l’exotisme, des jeunes qui courent vite et flinguent moins, des banlieues, moins de Marseille et plus de Côte d’Azur, des Américains, des policiers à problèmes... Après 2000 voici Pierre Shoendoerffer, André Téchiné et ses Voleurs, Mathieu Kassovitz et La Haine, Xavier Beauvois, Jacques Audiard et Un Prophète, Maïwenn et Polisse, Chouf de Karim Didri, et bien d’autres, car les nouveaux moyens techniques permettent d’aborder le métier plus facilement (ou moins difficilement…).
Bonus et Bémols
Avec le bon flair des connaisseurs, Jean Ollé-Laprune nous épargne les si médiocres Jean-Pierre Belmondo et Alain Delon des années 1980, fabriqués sur mesure et à la chaîne, tous les mêmes où les héros ne meurent jamais. On redécouvre avec bonheur des noms oubliés, de précieux moments de cinéma, on entend d’inoubliables musiques.
Le choix du film accompagnant son réalisateur est très personnel et ne plaît pas forcément : pour Clouzot on peut préférer L’Assassin habite au 21, pour Verneuil Mélodie en sous-sol (mais il n’y a pas de mort), pour Yves Boisset Le Juge Fayard, mais chacun ses goûts.
Ce voyage à travers ce cinéma français est aussi une extraordinaire leçon de sociologie, où on voit un pays (le nôtre) aux prises avec ses démons, évoluant sans cesse, la disparition des ouvriers du Jour se lève, l’émancipation des filles (Plein soleil), l’évolution des héros, des flics, des malfrats, des voitures, des vêtements, la cigarette perpétuelle, l’embourgeoisement des professionnels et le désordre moral des plus jeunes.
Extraits
p. 65 : Plein Soleil (René Clément) « Le rôle de Tom Ripley est initialement prévu pour Jacques Charrier. Delon... va batailler toute une soirée de juillet 1959 auprès des producteurs et du réalisateur pour avoir le rôle... C’est Bella, l’épouse de René Clément, qui tranchera en sa faveur ».
p. 119 : La Bonne Année (Claude Lelouch) « La complicité entre les deux têtes d’affiche soude le film. Leur amitié remonte à l’époque où Jacques Becker, le premier mari de Françoise Fabian, fait débuter Ventura… Claude Lelouch justifiera le choix de l’actrice : « il me fallait trouver quelqu’un pour tenir tête à Lino » ».
p. 158 : Police (Maurice Pialat) « Police marque le retour de Depardieu chez Pialat... Les deux hommes rigolent comme des ados, mais les actrices évoquent lors du tournage les comportements provocateurs de Depardieu et Pialat. Les tensions les plus vives surviennent avec Richard Anconina dont Pialat fera son souffre-douleur ».
Françoise Thibaut
Professeur des universités
Correspondante de l’Académie des Sciences morales et politiques
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