Le camarade Lénine adorait le cinéma. Il disait « de tous les arts, c’est le plus important », et encouragea, par le décret du 27 août 1919 nationalisant la production et la distribution cinématographiques, une production propagandiste considérable, souvent d’excellente facture.
Staline aussi adorait le cinoche, surtout les westerns dont il se régalait le soir après le borchtch. Pendant la seconde guerre mondiale, par les convois américains qui aboutissaient à Mourmansk il recevait régulièrement les exploits de Gary Cooper, Errol Flynn, Grégory Peck et du jeune John Wayne, empaquetés au milieu des chars, des munitions et des bombardiers. Une grande époque fraternelle…
L’œil occidental aime beaucoup ironiser, se moquer, critiquer le régime, l’opacité des mystères soviétiques ou désormais redevenus russes.
Petit voyage de fantaisie au pays du nouveau Spoutnik :
La Mort de Staline d’Armando Iannucci (É.-U./France/R.-U., 2017) inspiré de la bande dessinée de Fabien Nury et Thierry Robin (Dargaud éditeur). Comédie anglaise délirante, endiablée, aussi hilarante que terrifiante, servie par des acteurs déchaînés, tournée à Moscou sur les lieux même de l’action et à Kiev.
L’action débute sur un concert très... déconcertant. Staline meurt dans la nuit du 2 mars 1953 : son entourage est désemparé, terrorisé, accablé, triomphant. Ils sont tous là : Beria, Malenkov, Boulganine, Khrouchtchev, Kaganovitch, Mikoyan, Molotov, Zhukov, les encombrants enfants Staline... Confusion, hésitations, course au pouvoir, aux honneurs, valse des sorties et entrées de prisons. Steve Buscemi est un Nikita Khrouchtchev plus vrai que nature, Simon Russell Beale un Beria vraiment dégoûtant, Michael Palin (le bègue d’Un Poisson nommé Wanda) un Molotov paumé, Jason Isaacs un Zhukov pétaradant couvert de médailles. Tous ces acteurs britanniques s’en donnent à cœur joie. C’est parodique, burlesque, guignolesque, mais fort près de l’exacte vérité, et le rire s’accompagne d’un frisson rétrospectif.
Un film formidable, couvert (lui aussi) de prix, médailles et nominations.
Twist again à Moscou de Jean-Marie Poiré (France, 1986) : un très mauvais film ! Vulgaire, lourdingue, sans queue ni tête... mais qu’est-ce qu’on s’amuse ! Une sombre histoire de famille poursuivie par le KGB pour non-conformité politique et fraude fiscale (tiens, tiens !). Un parent bien en cour qui rechigne à aider. Les dames cerbères qui gardent les clefs d’étage dans le grand hôtel dirigé par Philippe Noiret faux jeton rappellent la réalité de l’époque. La fuite éperdue génère une cavalcade dans la neige à travers les steppes infinies... Christian Clavier et Martin Lamotte en font des tonnes. Bernard Blier et Philippe Noiret avouent n’avoir « jamais autant rigolé sur un tournage » (V. le Philippe Noiret de Dominique Maillet p. 322 et s.), tout cela sous le sublime regard d’une Marina Vlady resplendissante, très Impératrice de toutes les Russies.
En plus sérieux :
Est-Ouest (France/Belg./Russie/Ukraine/Esp., 1998) Régis Wargnier, le spécialiste des situations pleurnicheuses coincées dans la réalité historique (Indochine (France, 1992)). C’est très bien fait, un peu long, pas vraiment tonique. En 1946 un médecin russe réfugié en France et sa jeune épouse française succombent aux sirènes aguicheuses de Staline de ré-installation dans la mère patrie. Mais la réalité est terrible. Tourné dans l’euphorie des échanges culturels des années 1990, il y a une certaine raideur : la grande star russe Oleg Menchikov doit être doublée en permanence, Sandrine Bonnaire est un peu empaillée, Catherine Deneuve a grossi dans un rôle surjoué. Le véritable intérêt réside dans l’histoire vraie de ce nageur olympique qui a réussi à passer à l’Ouest en traversant la Mer Noire. Les dernières minutes, sur le Bosphore, sont très belles. Proposé aux Oscars en 2000.
Le Concert de Radu Mihalleanu (France/It./Belg./Roumanie, 2009), avec Alexeï Gouskov, Dmitriy Nazarov, Miou Miou, Mélanie Laurent. Un ancien chef d’orchestre du Bolchoï, devenu homme de ménage du même prestigieux théâtre, intercepte un fax du théâtre du Châtelet invitant l’orchestre à Paris. Il monte alors un énorme mensonge vengeur et reconstitue l’orchestre du passé. Tout le monde (2 millions d’entrées en 2010) a vu ce morceau de bravoure très bien fait, un peu long (2h), un peu surchargé, mais où on rit beaucoup, et on pleure un peu à la fin. Il vaut mieux aimer les Russes et Tchaïkovski.
L’Affaire Farewell de Christian Carion (2009) avec Guillaume Canet et surtout Emir Kusturica. À ranger dans les drames ou les thrillers, mais histoire véritable d’un ingénieur français en pleine guerre froide, dont la couverture a sauté, et qu’il faudrait exfiltrer. Adapté du livre-témoignage Bonjour Farewell, c’est de la belle ouvrage : début un peu mou, fin haletante, Moscou splendide ; Guillaume Canet est supportable, Emir Kusturica grandiose. On peut associer ce travail à Atomic Blonde de David Leitch, en contournant l’inutile violence, où on ne comprend rien, mais où Charlize Theron – blonde ou brune - est toujours aussi belle.
Dans les pays-frères :
L’Insoutenable légèreté de l’être de Philippe Kaufman (États-Unis, 1986) : un vieux joyau toujours émouvant et joyeux. Prague 1968, les chars russes. On a bien aimé Juliette Binoche débutante, fraîche et innocente, et Daniel Day-Lewis tellement enjôleur. Le mélange des images d’époque avec celles du film est révélateur du rôle à double face des reportages de journalistes. La dernière partie à la campagne, avec le chien Karénine est magnifique.
La vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck (All., 2006). Rare et superbe, Oscar du meilleur film étranger en 2007. La RDA dans toute la splendeur de son système de surveillance généralisée. Quelques scènes inoubliables (celle dans l’ascenseur avec le ballon du petit garçon, le rôle de l’encre rouge…). De remarquables acteurs.
On ressort de la salle de cinéma en se disant qu’on l’a échappé belle ! L’effet, au fond de son canapé à la maison, n’est peut-être pas aussi fort. D’où l’aspect essentiel du partage dans les salles obscures du cinéma.
Il faut aussi aimer le beau cinéma russe : par exemple Les Yeux noirs de Nikita Mikhalkov (Italie, 1987), d’après Tchékhov, avec l’inoubliable Mastroianni et une sublime Silvana Mangano (« chatoyant » écrit Jean Tulard) ou ceux de son frère Andreï Mikhalkov-Kontchalovski, ancien assistant et scénariste de Tarkovski pour Andreï Roublev, surtout - réalisés aux États-Unis – son Runaway Train (1985) avec Jon Voight, saisissante odyssée d’un train fou en Alaska (on ne s’en remet pas) et Le Bayou en 1987. Mais le plus admirable et attachant est L’Arche Russe (Russie, 2002), cet unique plan-séquence d’une heure et demi d’Alexandre Soukourov (Mère et fils (Russie, 1997)), un projet audacieux, filmé dans le palais de l’Ermitage, relatant trois siècles d’histoire de la Russie. Magnifique (à moins que ce ne soit un bon somnifère).
Allons !
Karacho, Tovaritch Spoutnik !!!
Françoise Thibaut,
Professeur des universités
Correspondante de l’Institut, Académie des Sciences morales et politiques
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