1/D’où est venue l’idée d’écrire un livre sur le droit dans les films d’Hitchcock ?
À l’origine, il y a naturellement une passion personnelle pour l’œuvre de ce réalisateur. Je connaissais déjà relativement bien de nombreux films.
Mais, en matière de recherche, je m’intéresse aussi beaucoup aux approches pluridisciplinaires, et en particulier au mouvement droit et littérature. L’idée de rechercher des éléments juridiques (professions, concepts, procédures) dans une œuvre littéraire ouvre des portes supplémentaires à l’analyse grâce au changement de regard que procure un tel décalage. Dans un premier temps, j’avais envie de suivre la même logique et de reprendre les différents films d’Hitchcock pour voir comment il insérait des concepts juridiques dans ses intrigues.
2/ Comment Hitchcock utilise-t-il le droit ?
C’est l’aspect le plus fascinant, à mon avis. Le réalisateur ne se contente pas d’utiliser les éléments juridiques comme décor. Les intrigues qui comportent des aspects judiciaires sont naturellement l’occasion de présenter des policiers, des magistrats, des avocats, mais aussi des lieux de justice. Pourtant, Hitchcock va plus loin en montrant par son travail sa propre vision du droit.
En travaillant sur des concepts fondamentaux, en particulier la présomption d’innocence, je me suis rendu compte que le réalisateur s’ingéniait justement à la détourner. L’innocent, chez Hitchcock, doit prouver qu’il n’a rien fait… il ne trouve devant lui que des interlocuteurs suspicieux à son égard. De nombreux films correspondent à ce schéma, Les trente-neuf marches et La mort aux trousses en sont des exemples parfaits.
En allant un peu plus loin, on constate que des relations juridiques majeures sont aussi détournées. La première d’entre elles, qui concerne les liens au sein du couple, le mariage, se trouve au cœur de nombreux scénarii, avec très souvent, pour ne pas dire systématiquement, une forme de détournement. Le mariage, qui est censé lier deux individus pour la vie, devient l’un des éléments qui explique un meurtre ou une tentative de meurtre.
Hitchcock nous donne d’ailleurs sa propre conception des relations humaines en insistant sur le caractère intime de la plupart des meurtres, selon lui. Le meurtre est « une habitude domestique », ce que démontrent les mobiles qu’il met en avant, les armes utilisées (souvent des outils du quotidien, un couteau de cuisine, une cravate, un four à gaz…)
3/ Y a-t-il ici un droit hitchcockien ?
Dans un premier temps, je m’étais attaché à rechercher des éléments juridiques dans l’œuvre. Il s’agissait surtout de poser la question d’un décor juridique. Cependant, tout en travaillant sur cette perspective, j’ai commencé à voir apparaître une autre idée, qui peu à peu a donné tout son sens à l’œuvre dans son ensemble. L’image qui m’avait conduit à envisager un ouvrage juridique sur Hitchcock est tirée d’un film des années cinquante, La Loi du silence, dans le titre original est I Confess. Le scénario est centré sur un innocent injustement accusé d’un crime (rien de très surprenant). Dans ce film, le père Logan, un prêtre catholique, incarné par Montgomery Clift, a reçu en confession l’auteur d’un meurtre. En raison des circonstances et de l’acharnement d’un policier, c’est le prêtre qui est accusé, et qui se retrouve devant un tribunal. Lié par le secret de la confession, il ne peut pas dénoncer le véritable coupable, et doit faire confiance à la justice humaine… lors du procès, une image résume parfaitement le dilemme : le prêtre est à la barre, incapable de témoigner, car soumis à la loi de Dieu, qui est rappelée par un crucifix accroché au mur…
Tout en continuant à travailler sur les différents films, j’ai commencé à entrevoir une double vision chez Hitchcock : d’un côté, une critique violente, souvent cynique, du droit tel qu’il est appliqué, de l’autre, une présentation, à travers les personnages, les intrigues, et surtout les dénouements, d’un autre droit, d’une autre forme de justice, qui tire son origine de la logique religieuse.
4/ Cette opposition conduirait donc à privilégier une loi divine, la fatalité, à la loi humaine ?
Dans la première perspective, on constate que le procès, dans sa dimension humaine, ne conduit pas à la vérité et à la justice chez Hitchcock. Les exemples présents dans son œuvre (Le Procès Paradine, La Loi du silence ou encore Le Faux coupable) nous montrent chaque fois les failles de la procédure. Les acteurs du droit (avocats, magistrats ou policiers) sont faillibles.
Dans la seconde perspective, la fatalité semble être la loi privilégiée par Hitchcock. L’exemple le plus significatif est donné par la fin du film Sueurs froides. Un meurtre a été commis, déguisé en suicide. Le témoin du suicide, un détective, Scottie Ferguson, incarné par James Stewart, souffre de vertige. Connaissant cette faiblesse, un homme, Gavin Elster, décide de l’utiliser pour assassiner son épouse, Madeleine. Il engage le détective pour suivre sa femme qui, selon lui, a des tendances suicidaires. En réalité, ce n’est pas sa femme que Scottie rencontre mais sa maîtresse, Judy. Au moment décisif, celle-ci entraîne le détective à monter dans un clocher, dans une mission catholique. Incapable de la suivre, le détective reste bloqué au milieu de l’escalier, et voit tomber un corps, qu’il prend pour celui de la femme qu’il a suivie pendant plusieurs jours. Dans la seconde partie du film, Scottie rencontre par hasard Judy, dont il note simplement la ressemblance avec la morte. Il va la transformer physiquement pour la faire ressembler justement à la femme dont il est tombé amoureux. À la fin du film, il comprend la supercherie. Il emmène Judy sur les lieux du crime, reconstitue la scène, mais cette fois il parvient au sommet du clocher. Arrivée là, la jeune femme reconnaît sa participation au meurtre. Puis, brusquement, apparaît une forme dans l’ombre, Judy recule et tombe à son tour du clocher. La forme était en fait une religieuse. Il y a ici une justice extérieure, qui intervient.
5/ Cette logique est-elle présente dans d’autres films ?
En regardant certains d’entre eux, on constate que la fatalité apparaît au début et à la fin de nombreux films.
Elle peut servir pour lancer l’intrigue. C’est le cas de la rencontre fortuite entre un couple d’Américains moyens et un espion français, au début de L’homme qui en savait trop. On retrouve aussi ce hasard dans la confusion initiale que subit le héros de La Mort aux trousses, incarné par Cary Grant, qui est pris pour un dénommé Kaplan, un agent secret américain. C’est la fatalité qui fait s’arrêter Marion Crane dans un motel où elle va être assassinée, dans Psychose.
Elle sert aussi pour clore un film. À la fin du Grand alibi, c’est un rideau de théâtre qui tue le coupable. Sueurs froides se termine par une chute accidentelle. L’homme qui en savait trop (dans sa version américaine puisqu’il y a eu aussi une version anglaise) s’achève par la mort d’un des espions, qui tombe dans un escalier. Le saboteur, dans Cinquième colonne, tombe du haut de la Statue de la Liberté. L’oncle Charlie, qui est un étrangleur, dans L’ombre d’un doute, est tué alors qu’il essaie d’assassiner sa nièce. C’est lui qui bascule par la portière d’un train.
6/ Comment expliquer cette vision religieuse et juridique d’Hitchcock ?
Je pense que l’origine de cette conception est à rechercher dans ses propres convictions religieuses. Par son travail, par sa manière de réécrire des romans pour en tirer des scénarios, Hitchcock est visiblement un janséniste, membre de ce courant catholique qui croit en la prédestination, et veut faire passer un message à la fois moralisateur et religieux.
Une grande partie de son œuvre est conçue comme une dénonciation du discours jésuite. Hitchcock a été élève dans un collège jésuite, durant son enfance. Selon ce courant, l’être humain doit intégrer sa foi dans la société, essayer d’influencer celle-ci par l’intermédiaire de ses actes. Dans cette perspective, le monde pourrait être changé par la seule intervention du chrétien, par sa manière de présenter les choses, potentiellement par les règles fixées au niveau religieux et appliquées à la société.
C’est d’ailleurs cette argumentation qui conduit à la rédaction du code de production cinématographique, également connu sous le nom de code Hays, du nom du sénateur qui en a proposé l’adoption au début des années 1930. Ce document juridique établi en réalité une censure applicable au cinéma. Il s’agit d’orienter la production cinématographique en fixant un cadre de règles et d’interdictions. On trouve entre autres le refus de présenter les malfaiteurs (en particulier les criminels) de manière positive, des interdictions portant sur la représentation de l’adultère ou de certaines scènes de la vie courante, liées à l’intimité. La signification de ce code s’éclaire un peu plus lorsqu’on cite ses deux rédacteurs initiaux, un catholique, Martin Quigley, et un père jésuite, Daniel Lord. Il y a un dessein social et religieux dans ce code.
Tous ces éléments nous donnent une porte d’entrée pour comprendre l’œuvre cinématographique d’Hitchcock. Il rejette la réflexion des jésuites. Il refuse le code inspiré par ce courant. Selon lui, l’être humain n’est pas présent pour influencer le monde. Il le subit, de manière générale. C’est en ce sens que l’on peut évoquer le jansénisme du réalisateur. S’inscrivant dans la veine de certains juristes, comme Domat, Hitchcock présente un monde dominé par la prédestination et caractérisé par des institutions humaines fragiles et faillibles. Parce que seule la loi divine peut être juste, l’être humain est incapable de concevoir des règles qui conduiraient à cette même justice. Plus grave encore, certains êtres humains sont marqués par la prédestination, en étant soit bénis, soit maudits. Il suffit de citer certains films pour trouver des personnages qui s’inscrivent exactement dans ce schéma. Le détective Scottie dans Sueurs froides est maudit. Ses actions sont d’ailleurs marquées par cette malédiction. Il trahit son client en tombant amoureux d’une femme qu’il croit être mariée. Il veut coucher avec une morte… À la fin du film, il se retrouve au bord de la folie. À l’inverse, le Docteur McKenna dans L’homme qui en savait trop est béni. Il occupe une place essentielle dans la société – il est médecin – il est marié et fidèle, il a un enfant, il est respectueux de la loi et de la morale. Il est donc capable de surmonter les épreuves que la vie lui réserve, en l’occurrence l’enlèvement de son enfant, la mise en danger de sa famille.
Hitchcock montre ici une tendance au jusnaturalisme d’autant plus visible qu’elle permet de comprendre certains de ses choix. Les institutions humaines, selon les jansénistes, doivent être soumises à l’ordre, à l’autorité, qui sont les seuls fondements de la société sur terre. La réalité – la condition humaine et son rapport à la justice – dépend de Dieu, et donc échappe à l’être humain.
7/ Le cinéma fournit-il des éléments singuliers pour l’approche du droit ?
Avec l’œuvre d’Alfred Hitchcock, on constate qu’il ne s’agit pas simplement d’un travail sur les histoires, ce qui rapprocherait le cinéma de la littérature. Le réalisateur utilise aussi beaucoup l’image et le cadrage pour faire passer un certain nombre de messages. Grâce à la caméra, il donne au spectateur l’occasion d’incarner la victime, le coupable, un témoin, en multipliant les points de vue.
Pour reprendre l’idée précédente – le fait que la loi hitchcockienne est d’abord et avant tout divine dans ses conséquences et dans ses origines – on constate aussi que dans plusieurs films, au moment décisif, la caméra bascule et nous montre la scène depuis un point situé en hauteur, au-dessus des protagonistes. Comme si nous occupions, en tant que spectateurs et pour un bref moment, la place de Dieu, voyant des choses que les autres individus concernés par l’intrigue ne voient pas.
C’est très visible dans Les Oiseaux, mais aussi dans La Mort aux trousses ou dans L’Ombre d’un doute. Dans La Mort aux trousses, il s’agit d’ailleurs d’un élément majeur de l’intrigue puisque le spectateur au milieu du film a une information, essentielle (Kaplan n’existe pas), qui lui donne un avantage sur le héros, qui recherche désespérément un homme, ce même Kaplan, censé l’innocenter…
On peut ajouter que Hitchcock, grâce à la caméra, donne une autre place au spectateur, celle de voyeur/témoin. Les deux aspects sont intimement liés. L’exemple le plus significatif est évidemment donné par Fenêtre sur cour. Le héros, Jeff, se trouve immobilisé suite à un accident. Oisif, il commence à épier ses voisins. C’est un voyeur – ce que dénonce son aide-soignante – qui soupçonne (à juste titre) l’un de ses voisins d’avoir commis un meurtre. Il est témoin d’un certain nombre d’actions qui accréditent cette hypothèse. Le statut est très étrange. Juridiquement, en tant que témoin, il peut être amené à établir la vérité. Moralement, en tant que voyeur, il est condamnable. C’est ce même statut qui est conféré au public. Hitchcock rend ce dernier témoin des différents événements qui se produisent dans ses films tout en insistant sur son incapacité à en tirer une action positive. Le spectateur ne fait que regarder.
8/ Vous utilisez aussi Fenêtre sur cour pour remettre en avant la position d’Hitchcock sur le mariage. Selon vous, ce film est un symbole, parmi d’autres, de ce que représente l’institution du mariage aux yeux du réalisateur, un contrat entre une femme et un homme, contrat qui par définition doit être éternel et qui, en raison du comportement humain et du caractère versatile de l’individu, est nécessairement violé. Les rapports entre femmes et hommes sont très spécifiques dans l’œuvre d’Hitchcock. On retient souvent de ses réalisations la femme blonde hitchcockienne, qui serait incarnée par Grace Kelly, entre autres. Vous démontrez que le réalisateur donne une place beaucoup plus complexe à la femme dans ses différents films. Quelle est-elle ?
La femme blonde qui est incarnée par Grace Kelly dans plusieurs films, mais également par Eva Marie-Saint dans La Mort aux trousses ou par Kim Novak dans Sueurs froides est considérée comme une sorte de signature du réalisateur. C’est très réducteur au regard de ses autres films et des choix qu’il a pu faire. Nous trouvons plusieurs catégories de femmes, avec à chaque fois un rapport très différent au droit.
La première catégorie comporte des femmes qui vont venir en aide à un innocent pour établir la vérité. Sans qu’elles soient convaincues, initialement, de cette innocence, elles se trouvent amenées à la démontrer, en raison des péripéties du film. Dans Jeune et innocent, un film de la période anglaise, Robert Tisdall, le héros, est accusé d’avoir tué sa maîtresse. Il n’est disculpé que grâce au soutien de la fille du commissaire, Erica. Dans Les 39 marches, le même schéma est présent, avec une nuance, puisque l’héroïne, Patricia, est d’abord convaincue de la culpabilité du héros, avant de prendre son parti. Dernier exemple, tout aussi significatif, dans La maison du docteur Edwardes, c’est la femme qui mène l’enquête, le Docteur Constance Petersen (Ingrid Bergman) agissant pour prouver l’innocence d’un amnésique.
La deuxième catégorie montre l’aspect négatif. Nous avons affaire à des meurtrières ou à des voleuses. Dès la période anglaise, dans Blackmail, l’intrigue repose sur un assassinat commis par la fiancée du détective qui enquête. Dans Agent secret, une femme tue son mari parce qu’elle a compris qu’il était responsable de la mort de son frère. Dans Le Procès Paradine, l’ensemble du film repose sur la culpabilité de Madame Paradine qui a empoisonné son mari. Dans Le Grand alibi, une femme, Marlène Dietrich, réussit à convaincre son amant de tuer son mari.
La troisième catégorie est plus ambivalente. Tout en étant une héroïne, la femme se révèle être beaucoup plus complexe dans son action. Marnie est un bon exemple. On pourrait dire que dans Pas de printemps pour Marnie, elle incarne une voleuse, une menteuse et une meurtrière. Elle est l’héroïne du film. Elle est aussi marquée par son passé, par son enfance. C’est un refoulement psychologique qui explique son comportement suite à un acte violent qu’elle a commis alors qu’elle n’était qu’une enfant. Autre ambivalence, dans le dernier film d’Hitchcock, Complot de famille, le couple de héros commet des escroqueries. La femme et l’homme sont au même niveau dans ce cadre.
Il y a un paradoxe dans la présentation hitchcockienne des femmes. On pourrait presque parler de double discours. D’un côté, on trouve des références à la femme victorienne, à ce modèle qu’Hitchcock avait sous les yeux dans son enfance et durant une partie de sa carrière anglaise. C’est une approche très datée qui insiste sur une certaine vision de la femme, sur la vertu, sur le rapport à la société dans le cadre de règles très strictes. De l’autre, on trouve aussi un modernisme affirmé. La période américaine en particulier nous montre des femmes professionnellement intégrées, indépendantes, agissant à égalité avec des hommes. Grace Kelly incarne parfaitement ce modèle, dans Fenêtre sur cour comme dans La Main au collet.
9/ Avec un tel regard sur le mariage et sur les relations entre les femmes et les hommes, quel regard Hitchcock porte-t-il sur le sexe dans ses différents films ?
On retrouve l’ambivalence.
Il y a d’un côté le sexe « légal », moralement accepté. Il est intégré dans le mariage. Il conduit à une fin qui se veut logique, la naissance d’un enfant. L’Homme qui en savait trop, dans la version anglaise comme dans la version américaine, est un symbole parfait de cette approche. L’aspect sexuel est en grande partie effacé au profit d’une vision beaucoup plus familiale, neutre. Pour prendre un autre exemple, dans L’Ombre d’un doute, Hitchcock dresse le portrait d’une petite famille américaine. Les parents ont eu trois enfants. Il n’y a aucune référence à l’aspect sexuel.
Parfois Hitchcock peut aller un peu plus loin pour « démontrer » le lien entre le sexe et le mariage. La scène finale de La Mort aux trousses est l’exemple parfait. La femme et l’homme sont dans un compartiment couchette, dans un train. L’homme attire la femme vers lui, en l’appelant Madame Thornill, ce qui suppose un mariage. La séquence suivante montre un train qui rentre dans un tunnel…
De l’autre côté, Hitchcock montre aussi le sexe « illégal » moralement inacceptable. Il peut s’agir d’une relation hors mariage qui doit conduire un certain nombre de péripéties (Le Rideau déchiré) ou d’une relation interdite (entre les membres d’une même famille, ou à caractère homosexuel). Il dépeint également des viols et des crimes sexuels, parfois très crûment (Frenzy).
10/ Dans quelle mesure la psychanalyse peut-elle éclairer une telle œuvre cinématographique ?
Dans les films d’Hitchcock, la psychanalyse peut être utilisée dans deux perspectives distinctes. D’un côté, certains films ont recours à la psychanalyse au cœur même du scénario. C’est le cas de La Maison du docteur Edwardes, de Pas de printemps pour Marnie ou même de Psychose. Dans ce cadre, l’analyse permet de comprendre l’action des personnages, d’apporter des réponses. On peut presque parler d’un parallèle avec une enquête policière puisqu’il s’agit de répondre à des interrogations initiales pour rétablir la vérité, l’innocence (et l’identité) du héros dans le premier film, les raisons du comportement actuel de l’héroïne (dans le deuxième) et l’explication des meurtres commis par Norman, dans le troisième.
De l’autre, la psychanalyse est aussi une clé pour comprendre les films, de l’extérieur. Des études ont parfois été fondées sur l’approche psychanalytique pour comprendre des films. On pense aux Oiseaux ou à Psychose. Dans ce cas, les questions portent sur la signification des péripéties dans une approche liée au couple, aux rapports familiaux, à l’individu. C’est très visible dans les Oiseaux. Les différentes scènes d’attaque correspondent à des crises entre les protagonistes, une femme, un homme et la mère de celui-ci. S’y ajoute l’ancienne maîtresse de l’homme. Psychose est un film sur un malade mental. Il pose la question du rapport à l’autre, de la violence entre les individus, de l’identité et des aspects sexuels.
11/ Dernière question, vous utilisez les entretiens entre Hitchcock et Truffaut comme source pour mettre en avant certaine prises de position du réalisateur et certaines de ses explications. Y a beaucoup de droit dans ces entretiens ? Truffaut a-t-il été lui-même influencé par le droit dans son œuvre ?
De manière peut-être paradoxale, les entretiens en question portent sur de nombreuses questions juridiques mais n’abordent pas l’angle juridique lui-même. Ni les questions de Truffaut ni les réponses d’Hitchcock n’utilisent cet angle, dans une logique institutionnelle ou dans un questionnement plus général sur les concepts. Au contraire, il s’agit beaucoup plus de se demander comment mettre en images les relations humaines, potentiellement marquées par le droit ou quelle représentation donner pour telle ou telle profession juridique que de s’interroger de manière générale sur le droit. Il y a quelques exceptions, assez rares. Ainsi, lorsque Truffaut interroge Hitchcock sur Le Faux coupable, celui-ci est amené à résumer l’intrigue. C’est une histoire vraie. Le dénouement est centré sur deux événements : d’abord, la suspension du procès suite à l’intervention d’un juré devant la cour, ensuite, l’arrestation inattendue du vrai coupable. C’est le premier événement qui nous intéresse. Hitchcock précise que, lors d’un interrogatoire, un juré prend la parole pour demander s’il est nécessaire d’écouter tout cela, ce qui sous-entend qu’il a déjà pris sa décision, il n’est donc pas impartial… Ce qui conduit à l’arrêt du procès. Hitchcock qualifie cet événement de « petite atteinte au rituel »… C’est un avis assez étonnant concernant la procédure et ses conséquences. Qualifier la procédure de rituel a évidemment une connotation religieuse. Évoquer une atteinte à l’impartialité qui remet en cause le procès en parlant de petite entorse est un euphémisme…
Lors de leurs échanges, les deux hommes abordent de nombreuses questions juridiques, l’innocence, les professions, mais toujours sous l’angle du rapport à l’être humain. L’idée est de montrer que chez Hitchcock l’individu, bien qu’il soit un juriste, reste un être humain. C’est l’avocat du Procès Paradine par exemple.
Truffaut comprend d’autant mieux le prisme individuel utilisé par Hitchcock pour analyser le droit qu’il en intègre certains aspects dans sa propre filmographie. L’individu et son rapport à la société, y compris dans sa jeunesse (Les 400 coups), la justice et la vengeance (La Mariée était en noir), les rapports entre femmes et hommes (Jules et Jim) et l’adultère (La Peau douce). On trouve une interrogation sur les concepts juridiques, les institutions, dans l’œuvre de Truffaut. C’est sans doute aussi ce qui rend passionnant l’échange entre les deux hommes en ce qui concerne l’intégration des questions juridiques et de leur dimension sociale et individuelle dans les films.
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