Zoom sur la scène de l'audience
L'audience est l'une des scènes majeures du film. Elle intervient au bout d'une heure environ, et fait suite à autre moment clé du récit, celui où Taylor retrouve l'usage de la parole depuis sa blessure à la gorge et peut enfin prouver son intelligence aux Singes. D'une durée approximative de 11 minutes, il s'agit de l'audience du tribunal spécial de l'Académie nationale, une juridiction ad hoc formée exceptionnellement pour statuer sur le sort réservé à Taylor et, conséquemment, aux deux scientifiques accusés d'hérésie, les docteurs Zira et Cornelius. Ces derniers défendent la cause de l’astronaute, estimant avoir affaire au chaînon manquant entre l'Homme et le Singe. La cour est composée de trois magistrats, tous trois des orangs-outans : le docteur Maximus, commissaire aux affaires animales, le docteur Zaius, ministre de la Science et premier défenseur de la foi, et le président de l'Académie, aussi président du tribunal. Le ministère public est représenté par le docteur Honorious, également adjoint du ministre de la Justice. L'accusé est Taylor, même si une telle appellation est problématique puisque ce dernier est considéré comme un animal, à qui il est impossible d'appliquer le droit pénal simien et par extension le terme d'accusé. Les deux scientifiques précités sont évidemment présents, tout comme il est possible d'apercevoir dans un coin de la pièce le greffier, un chimpanzé.
L'audience s'ouvre sur un débat relatif à la nature de Taylor. Du fait de sa nature d'Homme, le représentant de l’État affirme qu'aucune incrimination ne peut être reconnue contre lui. La loi des Singes, et notamment son code pénal, ne peut être appliquée à Taylor, considéré comme un animal. Et la cour d'appuyer les dires du ministère public en énonçant qu'aucun droit ne peut être reconnu à l'accusé en vertu du droit des Singes. Mais le Docteur Zira admet que malgré le caractère humain de l'accusé, celui-ci possède une singularité du fait de son intelligence et de sa capacité à parler. De plus, elle conteste l'accusation dès lors que le droit simien ne lui est aucunement applicable. Son mari le Docteur Cornelius, de façon plus modérée, considère qu'il faille s'interroger sur la nature prétendument mutante de l'astronaute. C'est ainsi que le docteur Zaius s'exprime pour rappeler que l'assemblée est réunie non pas pour juger la « créature », mais bien pour décider de son sort en l'absence totale de tout principe du contradictoire. Le ministre de la science déplace ainsi le véritable débat qui est selon lui l'hérésie scientifique dont ont fait preuve les deux chimpanzés, dont la carrière risque de se briser s'ils continuent à défendre l'Homme menotté.
Dans un deuxième temps débute l'argumentaire du ministère public. Son représentant, le docteur Honorious ,vise l'article 1er de la foi, en vertu duquel « Le Tout-Puissant a créé le Singe à son image, lui a donné une âme et un esprit et dans sa grande bonté l'a séparé des bêtes de la jungle pour en faire le seigneur de cette planète ». Le procureur soutient ensuite que la science a pour seul objet l'étude des Singes et non pas de l'Homme ; à défaut, de tels agissements seraient contraires aux Rouleaux Sacrés. A ce titre il excipe de l'illégalité des travaux des véritables accusés en qualifiant leurs théories évolutionnistes d'hérétiques. L’État accuse donc le Docteur Zira et un chirurgien « corrompu » nommé Galen (un protagoniste que nous n'apercevons pas au cours du film) d'avoir réalisé des expériences illicites sur l'accusé, notamment sur son cerveau et les tissus de sa gorge, afin d'en faire un « monstre » capable de parler. C'est alors que la cour autorise le représentant de l’État à procéder à un interrogatoire envers Taylor. L'astronaute, non autorisé par le tribunal à s'exprimer, demande alors au docteur Cornellius de lire sa déclaration à sa place, et à ce qu'elle figure dans le procès-verbal d'audience. Il espère que son argumentation convaincra les magistrats, ou du moins sera prise en compte à l'occasion de la mise en délibéré. Il explique notamment être un explorateur venu d'une autre planète, dont le vaisseau s'est échoué dans le désert de l'Est ou « Zone Interdite ».
L'audience est interrompue par une brève échappée à l'extérieur du tribunal. Dans l'intérêt de l'affaire, le procureur a accepté de réunir tous les Hommes encore vivants capturés au cours de la chasse en même temps que Taylor. L'assemblée se retire donc pour examiner la véracité des dires de Taylor qui affirmait ne pas être le seul Homme doté de conscience et de la parole, son ami Landon étant toujours vivant. C'est avec effroi qu'il découvre que ce dernier a fait l'objet d'une intervention chirurgicale cérébrale, dans le but d'effacer sa mémoire et ainsi dissiper tout risque de communication, le privant alors à tout jamais de son intelligence. Désormais, il n'est plus qu'un autochtone parmi d'autres sur la planète des Singes.
L'audience se termine par l'arrestation de Taylor et une mise en accusation des docteurs Zira et Cornelius. Selon le ministère public, ils sont accusés de mépris envers le tribunal, d'outrage à magistrats et d'hérésie scientifique. Le tribunal sursoit à statuer en attendant l'examen des preuves. Pendant ce temps, Taylor est confié personnellement au docteur Zaius, qui lui seul peut décider du sort de l'animal.
Cette scène est essentielle. D'abord, d'un point de vue scénaristique, elle constitue un tournant majeur du récit. Elle démontre l'hostilité des autorités simiennes vis-à-vis de la nature prétendument extraordinaire de Taylor et les tensions qui peuvent demeurer entre les théories scientifiques et les principes religieux. Elle est aussi la démonstration d'autorités simiennes dépassées et bornées. En dépit des preuves rationnelles qui leur sont présentées, les magistrats refusent d'admettre qu'un Homme puisse être capable de raisonner.
De plus, cette scène suscite un intérêt dans le cadre de cette analyse des éléments juridiques, puisqu'elle est une exposition directe du système juridictionnel dans Planet of the Apes, du moins d'une juridiction pénale. Même s'il s'agit en l'espèce d'une juridiction ad hoc, nous remarquons que les grands principes de fonctionnement du système juridictionnel sont exposés, et notamment les acteurs présents à l'audience : ainsi la cour, le ministère public, le greffe, le ou les accusés, mais également l'huissier, passant furtivement dans le décor à deux reprises quand le président du tribunal l'appelle (un gorille semblerait-il, ce qui semble étrange au vu de qui a été exposé précédemment sur le système sociétal).
Plus généralement, cette scène confirme la grande partialité qui peut exister dans le fonctionnement de la justice, d'autant plus lorsqu'un Homme fait l'objet de l'instruction. Non content d'être intimement liés dans leur fonction aux principes religieux, les trois magistrats présents en exercent une autre en parallèle. Le docteur Zaius notamment, qui est membre du gouvernement en tant que ministre de la Science. Le représentant de l’État est également intimement lié au pouvoir judiciaire puisqu'il est également adjoint du ministre de la Justice. Tout est mélangé, aucune séparation entre le pouvoir exécutif et judiciaire n'est actée, et à aucun moment de l'audience le principe du contradictoire n'est respecté. Aucun droit de parole n'est accordé au principal intéressé en raison de sa nature non-simienne.
En outre, la scène qui suit est également très intéressante puisqu'à l'issue du dialogue entre Zaius et Taylor, le spectateur commence à entrevoir la supercherie entourant la société des Singes et la conservation d'un grand secret, d'un tabou par les autorités : Zaius admet lui-même savoir parfaitement que Taylor n'est pas un monstre, et croit en sa possibilité d'être un être doté de conscience.
Composante majeure de la catégorie anticipation au septième art, La Planète des Singes réalisé par Franklin J. Schaffner fut le départ d'une saga à la mythologie étoffée, en raison des nombreux thèmes abordés. Le long-métrage se veut-il dénonciateur des nombreuses dérives du système juridico-politique de l'Homme au cours des siècles ? Catégorisation des individus, asservissement de certaines populations, justice partiale, perméabilité entre pouvoir et religion...
Même si le Droit n'est évidemment pas la toile de fond première du film, les multiples clés de lecture du récit permettent de mettre en lumière certains aspects juridiques, perpétuant ainsi le caractère riche de cette œuvre.
Thomas Saulnier
Étudiant en M2 Juriste en droit de l'urbanisme et de l'aménagement
Université de Rennes 1
Commentaires