Terminator Genisys : un opus décomplexé mais maladroit
La franchise Terminator est à ce jour l'une des pierres angulaires du genre de la science-fiction à l'écran. Le premier volet, The Terminator (États-Unis, 1984), apporta une renommée mondiale au réalisateur James Cameron et à l'acteur d'origine autrichienne Arnold Schwarzenegger. Bien que classique dans les thèmes de science-fiction abordés (voyage dans le temps, affrontement des Hommes et des machines), la saga a réussi à gagner ses lettres de noblesse dans le milieu cinématographique grâce à une réalisation efficace, des effets spéciaux incroyables pour l'époque et un univers à la fois sombre, violent et froid, le point d'orgue étant atteint avec le deuxième opus de James Cameron : Terminator 2 : Judgment Day (États-Unis, France, 1991). Terminator Genisys (États-Unis, 2015), réalisé par Alan Taylor, débarqua dans les salles obscures le 1er juillet 2015, soit six ans après le quatrième film de la saga. Non content d'être l'un des plus attendus de l'année, James Cameron lui-même le recommanda vivement en le considérant comme le véritable troisième opus de la saga...
Le film repart avec la trame scénaristique fidèle à la franchise : un logiciel informatique militaire nommé Skynet a réussi à devenir indépendant et à déclencher une attaque nucléaire décimant presque l'intégralité de l'espèce humaine. Dans ce monde de désolation, les survivants sont entrés en guerre contre les machines sous les ordres de John Connor, le chef de la résistance, joué par Jason Clarke. Les Hommes sont sur le point de remporter une bataille cruciale contre les robots en attaquant directement le cœur même de l'ennemi. Skynet, entité consciente, sentant sa défaite imminente, décide d'envoyer dans le passé un de ses T-800 chargé d’éliminer Sarah Connor avant qu'elle ne mette au monde le futur leader de la résistance. La résistance envoie à son tour le soldat Kyle Reese afin qu'il protège sa mère et ainsi sauvegarde son destin.
Au premier abord, le film semble être un parfait copier-coller de ses prédécesseurs en en reprenant le postulat. En 1984, James Cameron développa un thème récurrent dans le monde de la science-fiction littéraire et cinématographique, celui de la relation entre l'Homme et les robots. Deux ans plus tôt, Ridley Scott expérimenta ce sujet avec son adaptation de Blade Runner (États-Unis, 1982), ou Alex Proyas en 2004 avec I, Robot (États-Unis, 2004), adaptation de l’œuvre d'Isaac Asimov. Dans The Terminator, nous apprenons que les militaires ont confié la gestion de leur système de défense nucléaire entièrement informatisé à un logiciel. Dans le second film, il était également question de la création d'un nouveau modèle de droïde par l'entreprise Cyberdyne Systems. L'Homme, inconscient du futur qui l'attend, poursuit sa quête de création de machines intelligentes et de logiciels en tout genre, n'hésitant pas à leur confier de lourdes responsabilités. Dans une société de plus en plus automatisée et informatisée, ce postulat est toujours d'actualité. Terminator Genisys, même s'il ne va pas aussi loin que les précédents films, a le mérite de poser la question de la légitimité des réseaux sociaux. En effet, Genisys est le nom d'une application mobile à vocation universelle créée par une société spécialisée en informatique, qui a vocation à centraliser toutes les informations connues de chaque personne de la planète. Le futur est écrit : aveuglés par la high-tech, les Hommes souscriront en masse à l'application et celle-ci deviendra par la suite Skynet, le logiciel responsable de l'holocauste nucléaire et de la guerre contre les machines. Du fait de la centralisation des informations personnelles des adhérents, nul doute que le logiciel aura un temps d'avance sur les Hommes. Dans un monde ultra-connecté, où les réseaux sociaux virtuels semblent avoir pris le pas sur les réelles relations sociales, cette réflexion sur la dangerosité des machines et de l'informatique portée par Terminator Genisys demeure toujours d'actualité.
Pour autant, le film parvient à proposer une nouvelle alternative à la saga, une direction scénaristique sonnant comme une réadaptation. Le passé qui nous était présenté dans les épisodes précédents, à savoir les deux premiers films (puisque Terminator Genisys semble faire totalement l'impasse sur le troisième et quatrième épisode), a véritablement changé. Sarah Connor a déjà pris connaissance de son futur et prend les devants en tentant de détruire Skynet en amont de sa prise d'autonomie. En effet la jeune femme est coutumière des machines, puisqu'elle a été mise au contact de celles-ci dès l'âge de neuf ans lorsqu'un T-800 est venu du futur en jurant de la protéger coûte que coûte. La réalité n'est donc pas la même, du fait d'un changement de posture de la part de Sarah Connor : désormais elle ne subit plus son destin mais reste active et souhaite recréer l'avenir, là où dans l'épisode de 1984 la jeune femme se contentait de rester en vie sous la protection du soldat Kyle Reese. Fondamentalement la situation ne change pas, puisque la destruction de Skynet avant sa prise de pouvoir pour empêcher le jugement dernier est le leitmotiv de la saga. Déjà dans Terminator 2 : Judgment Day il en était question avec la destruction de Cyberdyne, puis dans Terminator 3 : Le Soulèvement des Machines de Jonathan Mostow (États-Unis, Royaume-Uni, Japon, Allemagne, 2003) avec la destruction de Crystal Peak. Ici les protagonistes, en se rendant dans le futur en 2017, ambitionnent de détruire les grands complexes où sont conçus des prototypes de machines, ainsi que l'application Genisys. 2017, soit la date de prise de pouvoir de Genisys, le futur Skynet, contrairement à la première date fixée à 1997 par le deuxième film.
Nous comprenons la manière dont scénaristiquement le cinquième opus de la saga Terminator parvient à développer une forme de singularité, en opérant un mélange entre les deux premiers épisodes, en en remaniant les symboles et en les replaçant dans une autre dynamique spatio-temporelle. Ce que les spectateurs pensaient acquis ne l'est plus avec cet épisode. Le film réutilise à volonté le concept de voyage dans le temps avec une alternance passé/présent/futur, ce qui est parfois source de complexité. Il pourrait presque se suffire à lui-même tant nous avons l'impression que le réalisateur Alan Taylor a refait une histoire à partir des deux premiers films. Certes l'ensemble des protagonistes du récit ne sont pas nouveaux : Sarah et John Connor, le Terminator, Kyle Reese, ou encore le T-1000, la machine venue du futur pour tuer John Connor dans le deuxième volet. Seulement, ils connaissent une différence de traitement. Lorsque Kyle Reese débarque à Los Angeles en 1984, ce n'est pas une Sarah Connor serveuse dans un bar qu'il rencontre, mais une Sarah Connor durement entraînée et préparée à la guerre contre les machines. Le personnage du T-800, incarné par Arnold Schwarzenegger, est toujours de la partie, même s'il est plus que jamais humanisé et capable d'empathie. Le changement le plus flagrant est constitué par le personnage de John Connor, devenu mi-homme, mi-machine.
Malgré ses allures de reboot, Terminator Genisys ne manque pas de rendre hommage à l'héritage de la saga créée par James Cameron. A l'image de Jurassic World, de nombreux clins d’œils sont présents. Techniquement d'abord, puisque le film reprend certaines séquences de l'original quasiment plan par plan. Au début du film est réintroduite la célèbre scène où le T-800 fait son apparition en 1984, suivie de la rixe entre les trois punks afin de leur dérober leurs vêtements. L'insertion numérique du Schwarzennegger de trente-huit ans est une véritable prouesse technique, notamment lors des scènes d'affrontement entre les deux versions de l'acteur, représentées simultanément à l'écran. Sur ce point, notons que le manichéisme de la figure emblématique du T-800 caractérise la saga depuis ces débuts. Tout au long des années, ce personnage iconique a oscillé entre un rôle de méchant et celui de gentil, avec dans le cas présent une interaction entre les deux facettes du personnage. Le film y va également de ses références avec la réutilisation de répliques devenues cultes, notamment « Come with me if you want to live », ou le légendaire « I'll be back ». Les traditionnelles scènes de course-poursuites au volant de grands véhicules, autre marque de fabrique de la saga, sont également de la partie : bus scolaire, hélicoptères, voitures de police...
Tous ces éléments réaffirment l'identité de la franchise forgée depuis trente-ans. Cependant, le film d'Alan Taylor semble trop consacré à une entreprise de fan-service. De la même façon que pour Jurassic World, la volonté de ne pas perturber les amateurs de la série en se raccrochant à des acquis met en lumière une forme de dépendance vis à vis de ses prédécesseurs et un manque d'identité flagrant. Il semblerait qu' « au fond, Terminator Genisys est à Terminator ce que Jurassic World est à Jurassic Park : une madeleine de Proust bon marché, moyennement goûteuse, mais néanmoins comestible » (Le Point, Phalène de la Valette, « Terminator Genisys : que vaut vraiment le retour de Schwarzennegger ?, 1er juillet 2015, » : http://www.lepoint.fr/cinema/terminator-genisys-vaut-il-le-prix-d-une-place-de-cinema-26-06-2015-1940292_35.php). Certains remarqueront que la saga peine à se réinventer substantiellement depuis le deuxième opus, puisque déjà le troisième volet semblait introduire certaines redondances. Terminator Genisys opère donc une relance intéressante de la série, en jouant avec les acquis scénaristiques de celle-ci, le tout avec une démarche humoristique et décomplexée qui le démarque radicalement de ses aînés. Une utilisation peu rigoureuse du concept de voyages temporels rend cependant le récit trop brouillon. Malgré tout, une impression de déjà-vu subsiste tout au long de l’œuvre. Le retour de James Cameron aux commandes serait le bienvenu.
À travers ces trois blockbusters sortis en 2015, nous voyons que la tendance à reprendre des éléments de succès du passé est véritablement d'actualité dans le paysage cinématographique contemporain. Avec des démarches différentes et à des degrés divers, Mad Max : Fury Road, Jurassic World et Terminator Genisys reprennent tous trois les codes de leurs aînés. En découle soit une véritable cure de jouvence, soit un manque de nouveauté du fait d'une dépendance trop forte vis-à-vis de la mythologie des anciens opus. Ces manières de faire démontrent peut être une forme de carence du milieu des blockbusters, qui peine à se renouveler, si ce n'est en puisant dans ce qui a déjà été réalisé.
Thomas Saulnier, étudiant en M2 Juriste en droit de l'urbanisme et de l'aménagement
Université de Rennes 1
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