Jurassic World : des références immodérées pour un manque d'identité
Inaugurée en 1993 par Steven Spielberg, la série des Jurassic Park n'était pas revenue dans les salles obscures depuis 2003 et son troisième opus mitigé. Sorti le 10 juin 2015, Jurassic World (États-Unis, 2015), réalisé par Colin Trevorrow, n'était pas sans susciter de nombreuses attentes chez les fans de la première heure et du thriller de Michael Crichton. La redécouverte de cet univers fascinant peuplé de dinosaures, ranimant nécessairement les fantasmes de notre enfance, ajouté aux techniques de réalisation actuelles, avait de quoi faire saliver les spectateurs. A la fin du siècle dernier, le chef d’œuvre de Steven Spielberg avait ébloui le monde entier en mettant à l’œuvre des dinosaures recréés artificiellement par procédé génétique, rassemblés dans un grand parc d'attraction créé par le riche milliardaire John Hammond. Le film jouissait d'effets spéciaux incroyables pour l'époque (dont des maquettes très réalistes) et d'une réalisation effectuée de main de maître. Jurassic World, soucieux de rendre hommage à son aîné, ne manque pas de reprendre les ingrédients qui en avaient fait la réussite. D'un point de vue scénaristique, la base reste identique. Une nouvelle fois, nous nous retrouvons dans un immense parc à thème, dans lequel se rendent des milliers de visiteurs venus du monde entier pour admirer des dinosaures évoluant dans leur environnement naturel. Le film réintroduit l'aspect divertissant qui définissait le parc du premier opus, tout en le renforçant. Plus que jamais, les dinosaures sont représentés comme des bêtes de foire. Le public, venu en nombre, peut assister à de grandioses séances de spectacle faisant la part belle aux créatures préhistoriques (notamment un Mosasaurus, un reptile marin gigantesque). À cela s'ajoutent des safaris, déjà présents dans le premier film, ainsi qu'une multitude d'attractions. Pour satisfaire des visiteurs jamais rassasiés, les scientifiques du parc ont réussi à mettre au monde une créature terrifiante aux facultés décuplées : le terrible Indominous Rex, bien plus redoutable que le Tyrannosaurus Rex, icône des trois films. Une preuve de leur acharnement dans leur délire de création génétique. Très vite, un élément perturbateur : une faille dans la sécurité de l'enceinte, l'évasion d'un ou plusieurs dinosaures, et le chaos dans le parc. Indéniablement, une impression de déjà-vu se fait ressentir. Concernant le scénario, le film rechigne à prendre des risques et à s'autonomiser. Le personnage principal d'Owen Grady, interprété par Chris Pratt, parvient à dresser les vélociraptors grâce à un éprouvant processus de domestication, tel un dompteur de fauves dans un cirque. Il souhaite s'imposer comme le mâle alpha de la meute comme le veulent les lois de la nature, et ainsi avoir le monopole de la domination sur les dinosaures. Il est d'ailleurs épaulé dans ses exercices par Barry, interprété par Omar Sy. Mais cette faculté nouvellement inventée pour ce film est bien trop maigre dans le scénario, même si elle change radicalement avec la réputation de féroces prédateurs que sont les raptors solidement forgée par la trilogie. Une nouvelle fois, nous retrouvons le postulat de base de la franchise, et plus particulièrement de la première réalisation : celui de la création qui dépasse son créateur. À la manière du docteur Victor Frankenstein qui découvre l'horreur et le désastre causés par le monstre qu'il a créé, les scientifiques du parc apprennent à leurs dépens que la création génétique des dinosaures n'est pas sans conséquences. Dans Jurassic World, le discours prend une autre ampleur puisque la créature qui sème le chaos dans le parc n'est autre que l'Indominous Rex, super-prédateur créé de toutes pièces par les scientifiques, qui n'ont pas hésité à le doter de capacités telles que le camouflage. Le film interroge à son tour les limites de la science et de la génétique : pouvons-nous recréer de toutes pièces d'anciens mastodontes qui peuplaient autrefois la Terre, qui plus est à des fins de divertissement ? Les Hommes et les dinosaures, deux espèces dominantes séparées de plusieurs millions d'années, réunies pour la première fois dans un parc d'attractions : un « viol de la nature » pour Ian Malcolm, mathématicien du premier film. La renaissance par la science des dinosaures, encore aujourd'hui perçue comme un fantasme pas si utopique qu'il n'y paraît, fait écho à de nombreux autres projets scientifiques. Ne nous interrogeons nous pas sur la nécessité de préserver certaines espèces animales ou végétales menacées d'extinction par les vertus de la génétique ? Ne souhaitons nous pas ressusciter des espèces disparues telles que le mammouth ou le dodo de l'île Maurice ? Enfin, quid des débats sur le clonage de l'Homme ?
En 1993, Jurassic Park vit le jour dans un contexte d'expansion des découvertes en matière de génétique, à une époque où l'on pensait la recherche scientifique sans limites. Un tel contexte fut notamment marqué en France par la promulgation des lois sur la bioéthique en 1994 (loi n° 94-548 du 1 juillet 1994 relative au traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000547135&dateText ; loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000549619&dateText ; loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale et à la procréation et au diagnostic prénatal : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000549618&dateText). La conclusion était la suivante : l'Homme ne peut faire un usage immodéré d'une prérogative presque divine, la création, sans que cela ne mène au chaos. « J'ai dépensé sans compter » disait pourtant John Hammond dans le premier film. Un tel désastre qui se reproduit à nouveau dans le film de Colin Trevorrow. Les références au premier opus ne s'arrêtent pas là. D'un point de vue technique, de nombreux plans ressemblent très fortement à certains de l’œuvre de Steven Spielberg. Concernant les personnages, là aussi beaucoup de similarités se font sentir. Tout d'abord, les deux jeunes garçons, Zach et Gray, gracieusement invités à venir visiter le parc par leur tante employée sur l'île, nous rappellent avec beaucoup d'évidences Lex et Tim, les deux bambins de Jurassic Park, déjà invités par leur grand-père John Hammond à venir admirer ses plus beaux spécimens. Lowery Cruthers, employé dans la salle des contrôles du parc, rappelle également le personnage de Ray Arnold, l'informaticien du premier parc incarné par Samuel L. Jackson. Quant au scientifique Henry Wu, qui présentait la méthode de conception des dinosaures aux nouveaux visiteurs du parc, celui-ci est tout simplement de retour dans Jurassic World.
Certes, tous ces ingrédients déjà aperçus dans le premier film pourraient apparaître comme un hommage à l’œuvre oscarisée de Steven Spielberg, afin d'inscrire une continuité dans la saga, mais le dosage dans leur utilisation empêche de les cantonner à de simples références. Jurassic World, en souhaitant à tout prix rester proche de son aîné, manque inévitablement d'identité filmique propre. Trop de clins d’œils, trop de plans réutilisés donnent l'impression que le film de Colin Trevorrow ne parvient pas à prendre son autonomie vis-à-vis de son prédécesseur. Peu d'éléments permettent d'identifier clairement ce film et de l'isoler de ses pairs. La volonté était peut-être de satisfaire les fans du film original et du thriller dont il est une adaptation. Dans ce cas, bien que louable, le fait de prendre en considération les attentes et désirs des spectateurs pourrait induire une perte de contrôle du réalisateur sur son œuvre. Jurassic World démontre parfaitement que l'utilisation de références et de clins d’œils dans un film n'est qu'une affaire de proportion. Il est toujours très intéressant pour les cinéphiles de retrouver des symboles récurrents dans les films d'un même genre, voire d'une même franchise. Les références aux classiques sont toujours l'occasion de jauger sa connaissance du septième art. Bien utilisées, elles enrichissent le film grâce à un héritage cinématographique convaincant. Trop employées, elles peuvent faire sombrer le film dans une impression de déjà-vu. Las, le spectateur n'est plus surpris par ce qu'il découvre. Or, dans Jurassic World, le mélange entre nostalgie et renouveau est mal opéré et surtout mal proportionné. « À ne pas choisir entre l'hommage respectueux et le gros délire, [il] finit par se perdre et proposer une grosse attraction manquant singulièrement de caractère » (Ecran Large, « Jurassic World : notre critique préhistorique », 9 juin 2015 : http://www.ecranlarge.com/films/866105-jurassic-world/critiques). Reste que l'auto-référencement demeure un processus courant dans ce genre de sagas. Cet opus souhaite très certainement s'inscrire dans la continuité de la série et à en asseoir la mythologie. Le dénouement du film peut cependant nourrir quelques espoirs, notamment grâce à l'apport du élément scénaristique du dressage de raptors. Jurassic Park s'attardait à démontrer que la nature – via les dinosaures – ne pouvait être contrôlée, et que l'Homme ne pouvait porter le costume de Dieu. L'éventualité selon laquelle les redoutables dinosaures peuvent être apprivoisés et cohabiter avec une autre espèce dominante – l'Homme – pourrait constituer le support d'une autre réalisation. Jurassic World reste donc un film caractéristique d'une suite qui ne souhaite pas prendre de risque dans l'originalité. En réitérant l'idée de grand parc à thème à dinosaures, en réutilisant certains plans iconiques de Jurassic Park, le film semble trop emprunt de nostalgie et semble réchauffé. Pour autant, il demeure un bon divertissement, un film d'action/aventure aux effets spéciaux réussis, d'autant plus salué en France par la présence de l'acteur Omar Sy dans le casting. En définitive, le film a le mérite de se permettre de telles facilités, surtout s'il « assume ouvertement son ADN, sans doute prélevé dans la barbe de Spielberg » (Télérama, critique de Cécile Mury : http://www.telerama.fr/cinema/films/jurassic-world,496932,critique.php). Une allure désinhibée qui, malgré tout, nous fait passer un agréable moment devant l'écran, comme en témoigne l'incroyable score réalisé par le film au box-office mondial : 1,52 milliard de dollars de recettes, soit le troisième plus gros succès cinématographique de tous les temps (ainsi que le meilleur départ de l'histoire, rattrapé depuis par Star Wars : Episode VII – The Force Awakens).
(A suivre)
Thomas Saulnier, étudiant en M2 Juriste en droit de l'urbanisme et de l'aménagement
Université de Rennes 1
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