L’Hermine, de Christian Vincent (France, 2014), sorti sur les écrans il y a quelques semaines, réussit la prouesse d’être à la fois un film français de prétoire et une comédie sentimentale, les deux genres étant savamment imbriqués à travers deux histoires se déroulant en parallèle, ce qui donne un film singulier et remarquable à bien des égards. Présenté comme cela, l’on pourrait cependant craindre le pire. En effet, le cinéma français, contrairement au cinéma américain, n’est pas vraiment à l’aise pour mettre en scène la justice (« La justice à l’écran », CinémAction, n° 105, 2002). D’ailleurs, il ne s’y risque pas souvent, même si l’on a évidemment en tête certains films - ceux de Cayatte notamment -, et même si certains d’entre eux sont devenus des classiques (par ex. La Vérité de Clouzot, France, 1960). La liste de ces films judiciaires pourrait être rapidement établie (Pour une étude complète, voir L. Miniato et M. Flores-Lonjou, « Le procès dans le cinéma français », in W. Mastor et L. Miniato, Les figures du procès au-delà des frontières, Dalloz, 2014, p. 105). En tout cas, pour avoir vu la plupart des films français offrant une représentation de la justice, des plus anciens aux plus récents, nous pouvons affirmer que le film de Christian Vincent ne fait pas partie des plus mauvais : les scènes au palais de justice et dans le prétoire sont nombreuses, et aucune incongruité dans la mise en scène ne vient altérer le spectacle de la justice qui nous est offert. En effet, c’est bien à un concentré pédagogique d’un procès d’assises auquel nous sommes conviés, notamment lorsque le président Racine explique en substance aux jurés que la vérité judiciaire n’est pas la vérité objective (v. N. Luciani, Le Monde.fr, 17 nov. 2015). Il est d’ailleurs intéressant de constater que trois films français récents sont très justes sur le fonctionnement judiciaire et, sans en alourdir le propos, font œuvre de pédagogie, ce qui est assurément l’une des caractéristiques d’un film judiciaire réussi (v. en ce sens L. Miniato, M. Flores-Lonjou, « Le procès dans le cinéma français », op. cit.) : outre celui-ci, La chambre bleue de Mathieu Amalric (France, 2014) sur un procès d’assises et La tête haute d’Emmanuelle Bercot (France, 2014) sur la justice des mineurs. Les films de prétoire seraient-ils en passe de devenir un genre cinématographique français ? Nous le souhaitons ! Quant aux comédies sentimentales, il y a tellement, des deux côtés de l’Atlantique, de films insignifiants - dont la liste serait impossible à établir - que, en définitive, il a fallu une chose déterminante pour nous inciter à aller voir ce film : à la fois Christian Vincent et Fabrice Lucchini et leur précédent film commun, La discrète, l’un des films marquants des années 1990, sans oublier l’interprète de Borgen, la belle et talentueuse Sidse Babett Knudsen…
Fabrice Luchini campe, dans L’Hermine, Michel Racine, un président de cour d’assises. Le film débute la veille d’un procès : un homme est accusé d’avoir tué sa fillette, la mère est partie civile. Le président est malade - une grippe - et l’on apprend que son mariage est en train d’exploser. Etant donné sa situation, l’on comprend qu’il est peut-être censé incarner à lui seul la crise de la justice, d’autant que l’action se déroule à Saint-Omer, siège de ce séisme judiciaire qu’a été l’affaire d’Outreau, il y a plus de dix ans (« Parole(s) : l’affaire d’Outreau », Droit et cultures, n° 55, 2008). Mais cet aspect permet également de souligner que la justice humaine, par essence, est faillible, car rendue par des hommes fait de chair et de sang avec leurs faiblesses et problèmes : l’hermine que porte les juges ne fait pas d’eux des dieux. Et pourtant ce président de cour d’assises va s’avérer être un président exceptionnel, hors norme, à l’image du juge dont s’est inspiré Fabrice Luchini, à propos duquel un papier du Monde nous vante les qualités : impartialité, rigueur, sérieux, bienveillance, celui dont on ne sait, à l’issue des débats, quelle est son opinion, ce qui n’est pas si fréquent que cela (v. P. Robert-Diard, « Olivier Leurent, le vrai juge de « L’Hermine », Le Monde.fr, 27 nov. 2015). Néanmoins, au vu des propos que tiennent certains de ses collègues et avocats, le président Racine n’a pas bonne réputation, il semble froid et dur, affublé d’ailleurs d’un surnom peu sympathique : « le président à deux chiffres »… Et si « Michel Racine n’est pas misanthrope, (…) il l’est presque : il aime et respecte l’idée de l’homme, [mais] il a plus de mal à aimer les êtres humains qu’il côtoie. » (V. Noémie Luciani, « « L’Hermine » : un juge face aux hommes et à une femme », http://www.lemonde.fr/cinema/article/2015/11/17/l-hermine-un-juge-face-aux-hommes-et-a-ufemme_4811920_3476.html#xDrwFlJXzxWT8fx2.99). Un autre personnage du film évoque une figure emblématique du barreau : il s’agit de l’avocat de la défense, interprété par Michaël Abiteboul, qui n’est pas sans rappeler, par son physique et son style, l’avocat lillois Maître Dupond-Moretti. Hors norme, le procès l’est à coup sûr puisque l’un des jurés tiré au sort pour composer le jury de la cour, Ditte Lorensen-Coteret, est une femme exerçant la profession de médecin que le président Racine avait connue des années auparavant à l’hôpital et dont il était tombé amoureux. L’on n’en sait guère plus sur leur histoire, si ce n’est qu’une lettre, envoyée par Michel Racine, est restée sans réponse. En revanche, ce qui est certain, c’est que ce dernier est encore amoureux et qu’une seconde chance semble s’offrir à lui. La première fois, à l’hôpital, sur le lieu de travail du médecin, l’entreprise avait échoué. Etait-ce à cause de la situation de faiblesse de Michel Racine ? Peut-être que la seconde fois, au palais de justice, là où il travaille et où il est à son aise, leur histoire pourra vraiment débuter. La suite - l’issue du procès et l’histoire d’amour - appartient au spectateur. Il faut ajouter simplement que la femme aimée par Michel Racine, divorcée, a une fille, Ann, adolescente pleine de vie, s’intéressant de près aux histoires de cœur de sa mère. Et ce trio qui se forme à l’occasion du procès et lors d’une rencontre presque fortuite dans une brasserie proche du palais de justice, fait bien entendu écho à celui qui a été détruit par l’homicide jugé par la cour d’assises : d’un côté, la mort, le malheur, la nuit ; de l’autre, la vie, le bonheur, la lumière, celle d’un amour naissant.
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