La nature est si bien dessinée et organisée (dans son apparent désordre) que l’on peut s’interroger sur l’opportunité de ces frontières supplétives tracées par les hommes. Simplement la frontière est liée à l’appropriation : à la propriété des terres, des biens, des humains. A la domination : la frontière est un effet dominatif, ainsi évoqué dans Géant/Giant de George Stevens (E.-U., 1956) par le vindicatif James Dean à partir du moment l’où on exploite le pétrole sur les terres. Et vous souvenez-vous de Dirty dancing d’Emile Ardolino (E.-U., 1987) ? (non, c’est trop prolo – ciné pour blaireaux –) lorsque Patrick Swayze apprend à danser comme il faut à la jeune fille, à équilibrer son corps : « ceci est mon territoire, ceci est ton territoire ».
Et puis il y a Anna Karina criant à Belmondo peint en bleu « tu dépasses les bornes ! » dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard (France/Italie/E.-U., 1965). Et la sage Sandrine Bonnaire disant à la tumultueuse Isabelle Huppert « Il y a une marge à ne pas dépasser » dans La Cérémonie de Chabrol (France/All., 1994). Quelles bornes ? Quelle marge ?
Les Européens feront-ils une deuxième guerre de Crimée pour départager en Ukraine les Polonais et les Allemands de Catherine II la Grande et les Russes du Tsar Alexandre, de part et d’autre du fleuve Dniepr ? Et le système de concessions occidentales dans les villes chinoises de Shanghai, Pékin, Nankin, Canton – en train de renaitre pour cause marchande – était-il un véritable système de frontière ? Littérature et cinéma ont amplement fantasmé sur l’épineux sujet.
Peut-on rêver d’un Moyen Orient sans frontières avec Peter O’Toole pour seul interlocuteur – dans Lawrence d’Arabie/Lawrence of Arabia de David Lean (R.-U./E.-U., 1962) - avant que les britanniques ne le frontiérisent en trois Royaumes (Syrie, Jordanie, Irak) pour satisfaire les trois fils d’Ibn Saoud of Arabia ?
Les Mexicains aimeraient bien refranchir la rivière Pecos dans l’autre sens – tels les héros de Diego Quemada Diez dans les beaux Rêves d’or/La jaula de oro (Mexique/Esp., 2013). Avec ses belles lignes de frontières bien droites le Texas peut-il devenir un Etat indépendant ? Certains le prétendent. Avec ses très rectilignes et très européennes lignes droites tracées en Afrique, le Traité de Berlin de 1885 est-il encore pertinent en vertu du juridique principe de « l’intangibilité des frontières » ? A-t-il encore un sens au temps des relations mondialisées dans l’immatériel ?
Voilà les vraies questions.
Le modèle absolu de la réflexion frontiérisée dans le cinéma contemporain c’est Le pas suspendu de la cigogne/To meteoro vima tou pelargou (Italie/France/Suisse/Grèce, 1991) : pour garder l’esprit libre de frontières il ne faut jamais oublier la leçon de Marcello Mastroianni dans le film magique de Théo Angélopoulos.
Dans le salmigondis (en cuisine napolitaine ce mot veut dire mélange des goûts, mélange des genres, ce qui, présentement, est très in), goûts et genres étant des frontières mentales, il faut rester prudent dans l’imbécilité de la frontière imposée par trop de quadrillage…
Françoise Thibaut
Correspondant de l’institut
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