Le film Broken, sorti en France le 22 août dernier, est d’une certaine façon la rencontre entre Amélie Poulain et Ken Loach. Il y a dans ce film un portrait réaliste d’une Angleterre cassée, où le ciment de la société est difficile à percevoir. Cependant, grâce au jeu de la lumineuse Eloise Laurence, d’une photographie "pop" sous la direction de Rob Hardy, du scénario signé par le dramaturge Irlandais Mark O’Rowe et de la bande son écrite par Electric Wave Bureau, le film a quelque chose de fantastique et a même un côté (mauvais) conte de fée.
L’histoire se situe dans une banlieue pavillonnaire anglaise. Une jeune fille diabétique (Skunk), jouée par Eloise Laurence, est témoin d’une scène de violence dans laquelle un jeune voisin un peu simplet est tabassé par un homme dont la fille a inventé une histoire de viol pour cacher ses rapports sexuels avec ses copains. C’est Sexe, Mensonges et vidéo (Steven Soderbergh, USA, 1989) mais la violence omniprésente, infectant toute la société. Et c’est le début de la fin de l’enfance de Skunk, la fin de son innocence. La famille reste un élément majeur dans le scenario. Seulement, dans ce film, ce sont les hommes qui élèvent (tant bien que mal) leurs enfants ; la famille est fragmentée. La violence et le vice ne sont pas montré s comme des attributs uniquement masculins, mais se propagent tels des virus, et rendant impossible la préservation des enfants de ces maux. Du coup, les enfants, finissent par perdre leur innocence à jamais. Pour Rufus Norris :
" Notre vie moderne nous met sans conteste sous une pression qui n'a rien à voir avec les idées d'épanouissement ou de bonheur : possède ceci, sois comme ça, contrôle ta vie, sois compétitif, etc…" http://www.franceinfo.fr/evenement-film-broken-un-film-de-rufus-norris
Le film nous promène à travers un paysage en apparence calme mais où, malgré le vernis de respectabilité, la société craque sous la pression. Il y a de la violence à la maison, dans la rue, à l’école. Violence entre adultes, entre adultes et enfants et entre enfants. Il y a l’alcool, le sexe et la drogue qui sont présents dans le monde des adultes mais également dans le monde des jeunes. Cependant, il y a également de la tendresse, de l’humour et de l’absurde. On est quand même en Angleterre !
Le respect et l’amour entre Skunk et son père, incarné par l’excellent Tim Roth, traversent le film. C’est grâce à cet amour que Skunk va surmonter l’épreuve de la fin de l’enfance et commencer, avec son père, le voyage vers l’adolescence. Par contre, M. Oswald, le voisin qui tente de résister à la violence de la société en usant de la violence lui-même, n’en sortira pas indemne. Sa fille, qui essaie de grandir en imitant le comportement des adultes (alcool, sexe, violence), va faire une fausse couche lors d’une soirée trop bien arrosée ; elle meurt d’une hémorragie au milieu de ses sœurs et de ses copains, qui sont trop saouls pour s’en rendre compte. M. Oswald n’aura pas réussi à sauver sa fille mais c’est lui, par son seul geste d’humanité envers les autres, qui donne l’alarme lorsqu’il découvre Skunk en train de mourir. Encore une histoire de rédemption ? Un peu ce que certains ont reproché au film. Mais ces retournements de situation peuvent également se rencontrer dans nos vies.
Le film est dur, violent, tous les personnages présentent une fêlure, mais il est très humaniste. Norris ajoute :
« J'ai un profond rejet de la schématisation des choses, particulièrement les "méchants" ; l'opportunité de dépeindre une vie de quartier dysfonctionnelle sans tomber dans le manichéisme m'attirait forcément". http://www.franceinfo.fr/evenement-film-broken-un-film-de-rufus-norris
Malgré une fin un peu trop mélodramatique, j’ai bien senti que l’émotion dans la salle était palpable. Pour son premier essai, Rufus Norris a réussi à faire un beau film d’une grande humanité.
Franck Healy, Maître de conférences en anglais, Université de La Rochelle
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