
Dans le film du réalisateur italien Mario Monicelli, Risate de Gioia (Larmes de joie), Anna Magnani se retrouve dans une église à Rome, entourée de fidèles qui crient « au voleur ! ». Le jeune voleur avec qui elle a passé une soirée de réveillon déjà mouvementée (joué par Ben Gazara) a subtilisé le collier de la statue de la vierge et s’en débarrasse en la jetant dans les mains de Tortorella (Magnani) puis s’enfuit. C’est alors que Tortorella a une inspiration divine : en plaçant le collier autour de son cou elle crie « Miracolo ! Miracolo ! » et tente de faire croire à une apparition de la vierge qui lui aurait donné le collier. Purtroppo, les fidèles ne sont pas dupes et Tortorella est condamnée à six mois d’emprisonnement.
Ce film fait partie de mes découvertes de ce 40ème Festival International du Film de La Rochelle. Il est tendre, drôle et c’est l’unique film où l’on voit Magnani et le grand comédien italien Toto jouer ensemble ; c’est un régal et vaut le déplacement rien que pour la scène à la fontaine de Trevi, qui est un pastiche de la fameuse scène de la Dolce Vita, sorti la même année (1960).
Il y a eu beaucoup de rires pendant ce festival, notamment lors des projections des films de Charlie Chaplin. Les films ont été numérisés et les copies étaient sûrement meilleures que celles visionnées par le public dans les années 30 ! On a écrit des thèses sur Modern Times (Les Temps Modernes), et Sartre, de Beauvoir et Merleau-Ponty s’en sont même inspiré lorsqu’ils cherchaient un nom pour leur journal. Le film reste pertinent aujourd’hui, touchant aux thèmes tels que la pauvreté, le chômage, les inégalités et le travail qui écrase l’individu. Il est également hilarant, en particulier la fameuse scène où Chaplin reprend la chanson populaire française Je cherche après Titine mais, n’ayant pu mémoriser les paroles, et son antisèche (sur la manchette de sa chemise) étant partie sur un geste un peu brusque dès les premières notes, il est contraint d’improviser un charabia franco-italien qui n’a rien perdu de son effet comique.
The Circus (le Cirque) fut aussi un grand moment du festival. Présenté par Stéphane Goudet, directeur du cinéma Le Méliès, à Montreuil, qui nous a régalé avec l’histoire du tournage de ce film qui fut une réelle épreuve pour Chaplin. Il y a eu la mort de sa mère, le naufrage de son mariage avec Lita Grey et de nombreux incidents sur le plateau. Par exemple, tous les « rushs » du premier mois de tournage se sont avérés inutilisables du fait d’une erreur de développement des négatifs… Il est peut-être compréhensible que Chaplin ait choisi de rayer ce film de sa mémoire et n’en parle absolument pas dans son autobiographie.
Malgré les déboires du tournage, le film est un chef-d’œuvre. C’est extraordinaire d’entendre tous les jeunes enfants rire des gags d’un film qui est presque centenaire mais qui, finalement, n’a pas pris une ride. Que dire de la scène de la galerie de glaces (bien avant Orson Welles !) et du numéro d’équilibriste ! Ou de la scène où le petit vagabond devient comique sur piste malgré lui, ou lorsqu’il s’enferme par accident dans la cage du lion, scène qui a été tournée plus de 200 fois avec un vrai lion ! (Robinson, 2004[1]).

Par la suite, il y a eu une série de films réalisés par Raoul Walsh. On a vu de grands acteurs : Bogart, Cagney, Mitchum, Gable, Raft, Lupino, Mayo et tant d’autres. Dans High Sierra (La grande évasion) on trouve Bogart qui joue un gangster en quête de liberté et d’espace, et qui, traqué par la police, se trouve sur les hauteurs des montagnes de la High Sierra, où il sera abattu ; la mort comme libération définitive ?
On retrouve le même thème dans White Heat (L’enfer est à lui) où cette fois-ci James Cagney joue un gangster issu d’une famille où le père et le frère sont morts dans un asile... Cody Jarret (Cagney), déstabilisé par l’assassinat de sa mère, la seule personne qu’il aime et qu’il respecte, et pourchassé par la police à la suite d’un braquage qui tourne mal, se retrouve acculé en haut d’une montagne artificielle, un réservoir de produits chimiques inflammables, et se donne le coup de grâce en amorçant la bombe sous ses pieds avec des coups de revolver ; son cri de « Look ma, top of the world ! » (Regarde maman, maître du monde !) juste avant que l’explosion l’envoie au ciel est resté dans les annales de Hollywood.
Robert Mitchum dans Pursued (La Vallée de la peur) est également poursuivi, traqué. Cependant, cette fois il ne s’agit pas de la police mais d’une malédiction, un rêve récurrent, insaisissable, venant de son enfance, et un sentiment de mal-être au sein de sa famille adoptive. Ce western complexe et sombre ressemble à The Fugitive, mais Mitchum est poursuivi non seulement par la vengeance d’un homme (à la fin du film), mais aussi par son passé et par le cœur des ténèbres en lui et autour de lui. Il n’est libéré qu’à la fin lorsque son passé devient clair et l’homme qui le poursuit abattu.

Parmi les moments forts, il y a eu la soirée avec Anouk Aimé qui nous a parlé de sa carrière et notamment de ses films avec Fellini, lequel avait l’habitude de fuir lorsqu’on lui demandait des explications sur le rôle que le comédien devait jouer ou l’histoire du film… Il y a eu d’autres films italiens, come Riso Amaro (Riz Amer), un film néo-réaliste avec Vittorio Gassman et une très jeune Silvana Mangono, film à la fois brutal et sensuel. Anni Difficile (Les années difficiles), histoire d’un petit fonctionnaire qui traverse les années 30-40 en Italie, est très drôle mais ne prend pas de pincettes pour critiquer la sombre période du fascisme italien. Servi par des magnifiques acteurs (Spadaro, Nincha, Scala, Girotti), le film de Zampa est un constat amer de la lâcheté des hommes.
Il faudrait parler aussi de Broken, un film britannique de Rufus Norris avec une toute jeune comédienne, Eloise Laurence, qui explose l’écran. C’est un film violent, comique et très moderne dans la manière dont Norris l’a conçu et tourné.

La semaine s’est terminée sur le parvis de la médiathèque dimanche soir pour revoir La Nuit Américaine de Truffaut. Présenté par Alexandra Stewart et Jean-François Stevenin, deux des acteurs du film qui, a-t-on appris, ont beaucoup fait la fête pendant le tournage ! Ce merveilleux film sur le cinéma, la réalisation d’un film, le travail collectif de l’équipe et le rôle du réalisateur, était une belle manière de clore ce 40ème festival. Malgré la pluie qui est venue nous chatouiller un petit peu, on est resté jusqu’à la fin.
« Miracolo ! Miracolo ! »
Franck Healy, Maître de conférences en anglais, Université de La Rochelle
[1] Robinson, David ; Filming the Circus, Charlie Chaplin Official Website, 2004.
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