Le film Commis d'office, d'Hannelore Cayre, est l'adaptation cinématographique de son roman éponyme paru en 2004 (Ed. Métailié). Hannelore Cayre, avant d'être écrivain et cinéaste, a été avocat inscrit au barreau de Paris, et le film, au commencement, s'en ressent positivement. Personne d'autre qu'un avocat, me semble-t-il, n'aurait pu saisir comme elle le fait les difficultés pour un avocat pénaliste d'exercer son métier, son sacerdoce ... L'avocat incarné par le formidable Roschdy Zem, Maître Antoine Lahoud, a tout l'air de l'avocat brillant, docteur en droit, passionné par le pénal, mais qui a manifestement du mal à en vivre, qui semble désabusé, et qui subit la pauvreté à la fois de ses clients, de ses dossiers et de la justice. L'avocat commis d'office par son Bâtonnier croule sous les affaires de "peu d'intérêt", lesquels dossiers s'enchainent à la vitesse grand V sans que l'avocat n'ait vraiment le temps de préparer la défense, les audiences se terminent à des heures indécentes ... Bref, mis à part quelques ténors du barreau, qui se comptent sur les doigts d'une main, et qui ramassent l'essentiel des dossiers juteux dont parle la presse, la masse des avocats, les "soutiers du pénal" comme la réalisatrice les appelle en leur rendant hommage au générique, font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont, c'est-à-dire pas grand chose et presque rien.
Le film aurait pu être une réussite s'il s'était contenté de nous décrire le quotidien de cet avocat pénaliste de la quarantaine, en voulant toucher au plus près la vérité de la profession et de la vie au Palais. Certes, il aurait bien fallu imaginer une histoire, car Hannelore Cayre n'a pas voulu faire un film documentaire, mais sans aller jusqu'à imaginer un scénario totalement invraisembable, ce qui nous est malheureusement proposé dans Commis d'office. Maître Lahoud est en effet recruté par un grand avocat pénaliste, à la réputation sulfureuse, soi-disant pour ses qualités de plaideur repérées lors d'une audience, en réalité parce qu'il ressemble à un client de son futur patron, lequel envisage de se servir de Lahoud pour faire évader ledit client de la prison, moyennant une somme d'argent importante qui permettra à Lahoud d'envisager l'avenir de façon plus positive ... Le plan est le suivant : au parloir, l'avocat et le détenu s'échangent leurs vêtements, et à la fin de l'entretien, ni vu ni connu, le premier va en cellule, le second sort libre. Je ne dis pas qu'il n'existe pas, dans l'histoire, d'avocats qui ont "basculé de l'autre côté", mais de là à ce que cela puisse se passer comme l'imagine Hannelore Cayre ... Car même si la réalité, dit-on, dépasse souvent la fiction, on a quand même du mal à croire à cette histoire, ce d'autant que le début du film, on l'a dit, est très convaicant par ce qu'il nous montre du fonctionnement de la justice (le tournage des scènes de prétoire au Palais de justice de Paris y aidant) Le choc pour le spectateur est donc brutal lorsqu'on vient lui servir ce scénario abracadabrantesque.
De surcroît, à ce scénario peu crédible, s'ajoutent une mise en scène proche de l'amateurisme, où les scènes, toutes plus pénibles les unes que les autres, s'enchainent sans aucun répit pour le spectateur (je pense notamment à la scène du restaurant lorsque R. Zem est recruté, et la façon dont la réalisatrice fait manger, se gouinfrer, son "patron" : scène pathétique qui démontre une direction d'acteurs en dessous de la moyenne). Manifestement, le fim a dû être tourné très vite, faute de moyens suffisants. Sans parler de la façon caricaturale dont sont montrés quelques personnages du film, à commencer par "l'avocat vieille France membre du Conseil de l'Ordre" qui, évidemment, est très méchant et n'aime pas Antoine Lahoud, le gentil (sans parler non plus de la musique du film qui n'arrange pas les choses ...).
En définitive, même si Commis d'office ne mérite pas d'être vu pour ses qualités cinématographiques, il mérite de l'être parce qu'aucun cinéaste français (de fiction) contemporain, à ma connaissance, ne s'était jusqu'à présent intéressé de près à ce thème de la justice pénale, avec pour personnage principal un avocat dont la situation, au contraire du scénario rocambolesque, est très proche de la réalité. C'est tout le mérite d'Hannelore Cayre, et il est dommage que ce beau projet ait été un peu gâché par les insuffisances de son film.
La bande-annonce
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