Même si l’exposition s’achève sous peu, elle est une invite à poursuivre l’exploration du mystère féminin, la chevelure masculine ayant été – jusqu’à présent peut-être ? – l’objet de moins d’attentions de la part des réalisateurs … et des spectateurs.
Dès l'entrée, une jeune femme brune nous entraîne dans un sillage musical à la découverte d’un mur kaléidoscopique où alternent photos et extraits de films : Loulou de Pabst, Le mépris de Godard, Les hommes préfèrent les blondes (Gentlemen Prefer Blondes) d’Howard Hawks, Belle de jour de Luis Bunuel …
La visite se poursuit dans une première série de salles où l’on découvre l’origine de l’opposition blonde / brune. Si depuis la fin du XIX° siècle « l’impérialisme de la blondeur » venant des pays du Nord a été repris par les nazis, avant que de s’imposer aux Etats-Unis permettant à Hitchcock de déclarer : « la parfaite femme à mystères doit être blanche, subtile et nordique », ce mythe - également repris en U.R.S.S. dans un but d’exclusion des minorités ethniques - aboutit à cette hégémonie de la femme blonde au XXème siècle jusqu’à ce que la femme brune, issue des minorités raciales d’Amérique du sud, d’Asie et d’Afrique, fasse son apparition sur nos écrans depuis la fin siècle. Ainsi comme le rappelle Alain Bergala - commissaire de l’exposition - « parler de la chevelure, c’est embrasser l’histoire de l’art et celle de nos sociétés. Bruns, blonds ou roux, coupés courts ou portés longs, relevés ou lâchés, les cheveux des femmes entretiennent depuis toujours un rapport étroit à l’histoire des sociétés et à la mythologie » (entretien TéléObs. Paris, p. 1). C’est ainsi que le cinéma a été le vecteur de l’émancipation féminine en immortalisant les cheveux à la garçonne de Louise Brooks, la coupe afro des Blacks Panthers, la coupe courte de Jean Seberg …
Dédale de salles, de salon de coiffure, d’alcôves, de cabinet photographique nous permettent d’admirer la chevelure féminine au prisme des arts. Si les grands réalisateurs ont su capter éclairer la chevelure féminine, en accompagner les oscillations et l’apparition des nuques, se servant de l'opposition des chevelures brune / blonde dans leur scenario (de la brune séductrice par opposition à la blonde femme au foyer, puis l'inversion des rôles dès les années 30 où la brune domestiquée fait face à une blonde devenu la séductrice d'Hollywood, avant que la confusion ne joue à plein : la brune étant aussi la blonde, comme deux faces de la même figure féminine dans Persona de Bergman et Mulholland Drive de David Lynch), du sacrifice des cheveux (La passion de Jeanne d'Arc de Dreyer) à l’instar des veuves dans la Grèce antique, les peintres (« Fleurs au Bull-dog » de Francis Picabia, « Lana Turner » d’Andy Warhol …), mais aussi les sculpteurs (« La Danaïde » de Rodin) et les photographes (Man Ray, Edouard Boubat …) ont eux aussi tenté de représenter la matérialité et la sensualité du cheveu. De cette correspondance entre les arts, c’est le jeu de miroir cinéma/photographie qui retient l’attention, nous permettant d’admirer des photos d’actrices rectifiant leur coiffure sur un tournage : Marylin dans Les désaxés (The Misfits) de John Huston, Simone Signoret dans M15 demande protection (The Deadly Affair) de Sidney Lumet, Silvana Mangano dans Riz amer (Riso amaro) de Giuseppe de Santis, comme dans les estampes japonaises où une extrême attention est portée à la coiffure par opposition aux photos de femmes algériennes prises en 1960 pour l’armée française où dévoilant leurs bruns cheveux, elles apparaissent dénudées sous l’objectif de Marc Garanger, les regards lourds de reproches.
Pour autant, comme le relève Alain Bergala, le geste au cinéma étant plus ambigu qu'en peinture et dans les autres arts, la durée du plan pouvant induire la séduction, le repli sur soi, la destruction, le désir … la gestuelle de la chevelure révèle son motif ciné-génique et permet au cinéma de tirer son épingle du jeu, telle la chevelure de Monica Vitti chez Antonioni "toujours en mouvement, dégageant une charge émotionnelle indépendante du personnage" et maintient le spectateur dans ses rets.
Malgré la présence de l’installation de « The Isolated Child » d’Alice Anderson pris dans des fils roux tendus depuis le haut du bâtiment de la Cinémathèque, immenses cheveux tendus comme les mailles d’un filet, la rousse n’est qu’un personnage secondaire de cette exposition Brune / Blonde. Or elle a toujours nourri l’imaginaire des sociétés : esclave prostituée dans l'Antiquité, sorcière au Moyen-Âge, peinte à l'époque victorienne par Rosseti. S’il fallu attendre le Technicolor pour la voir apparaître sur les écrans à l’image de la flamboyante Rita Hayworth dans Gilda de Charles Vidor - devenue blonde aux cheveux courts sous la férule de son réalisateur de mari dans La dame de Shangai (The Lady from Shangai) - , d’autres ont pourtant su retenir notre attention comme Maureen O'Hara chez Huston, Shirley McLaine chez Wilder et Hitchcock, Françoise Dorléac chez Demy et Truffaut ou Stéphane Audran chez Chabrol …
Et puis un sentiment de frustration, si Antonioni, Bergman, Bunuel, Jean-Luc Godard et David Lynch sont au rendez-vous, quelques extraits de films supplémentaires d’Hitchcock, Woody Allen et quelques autres … auraient ravi nos yeux. V. Brune Blonde, la chevelure féminine dans l’art et le cinéma, coéd. Skira-Flammarion/La cinémathèque française, 2010.
Dotés d’indéniables qualités de pédagogue, Alain Bergala – dont nous apprécions les talents lors des stages cinéma organisés par Edith Périn, responsable cinéma à la Coursive (à La Rochelle) et nos rencontres Droit et cinéma : regards croisés – nous entraîne tel un passeur de cinéma vers l’éternel féminin ...
Conférence de Alain Bergala : "Les grands cinéastes de la chevelure", 16 novembre 2010
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