L'adaptation cinématographique du livre d'Emmanuel Carrère D'autres vies que la mienne (POL, 2009) vient de débuter. Le réalisateur Philippe Lioret a en effet commencé le tournage du film Toutes nos envies le 12 octobre dernier ainsi que nous l'a appris une dépèche de l'AFP en date du 2 octobre. Le film réunira les comédients Vincent Lindon et Marie Gillain, et sera centré sur la seconde partie du livre, à savoir le portrait des deux juges (le juge Etienne Rigal et Juliette), et la jurisprudence concernant l'office du juge dans le cadre des litiges relatifs aux crédits à la consommation.
L'occasion de vous montrer de larges extraits de la rencontre "Droit et Littérature'" qu'avait organisée Magalie Flores-Lonjou et Agnès de Luget de la Faculté de Droit de La Rochelle le 4 novembre 2009, en invitant Emmanuel Carrère à venir parler de son récit. La rencontre était animée par Denis Montebello, professeur de lettres et écrivain, et Lionel Miniato, maître de conférences en droit privé et avocat.
Depuis leur création il y a 10 ans, les Escales Documentaires ont été à l’écoute de la diversité des écritures, des formes et des idées du cinéma documentaire. Pour cette année anniversaire, les Escales ont choisi de questionner le cinéma et son évolution à travers le thème : "Cinéma Vérité, Vérités du cinéma".
Ce billet a d'abord été publié sur le blog Thomas More de M. Nicolas Mathey http://thomasmore.wordpress.com/ Nous remercions très chaleureusement l'auteur d'avoir bien voulu accepter que le blog Droit et cinéma : regards croisés le publie à son tour. Et nous en profitons également pour remercier le créateur de Facebook car, sans lui, ce billet et cet échange entre "blogueurs-juristes-cinéphiles" n'auraient pu exister ...
The social network de David Fincher est un excellent film à de multiples points de vue. Chacun peut y trouver l’écho de quelques moments plus ou moins importants de sa vie au cours des dernières années. Le geek y verra une histoire de geek. Le psy trouvera chez Mark Zuckerberg un bon exemple de nerd à tendance fortement autistique. Certains y verront une illustration des mutations de l’entreprise, voire du capitalisme, sous l’empire des technologies de la communication. Ce qui est sûr, c’est que, à strictement parler ce n’est pas un film sur Facebook. Pour le juriste, le film apparait non seulement comme une histoire d’entreprise mais aussi et surtout comme une forme originale de court room drama. C’est d’ailleurs la principale originalité du film par rapport au livre qui l’a inspiré (B. Mezrich, La revanche d’un solitaire). Si l’auteur du livre s’est inspiré de comptes rendus des deux procès intentés à Mark Zuckerberg, il n’a pas fait de la confrontation juridique un ressort de son œuvre. C’est sans doute en cela que le film est finalement plus puissant que le livre.
Le cadre du procès permet de placer Mark Zuckerberg face à ses accusateurs. A la réflexion, il permet d’une certaine façon d’atténuer la charge que pouvait constituer le livre en lui redonnant la parole, une parole sèche, ironique et pleine de prétention. C’est le propre du procès d’être contradictoire : audiatur et altera pars. Le débat judiciaire implique que l’on entende aussi l’accusé. L’originalité du film est d’être construit autour de deux procès sans parler de l’épisode d’ailleurs assez intéressant et précurseur de la procédure disciplinaire engagée à la suite du crash du réseau de l’Université provoqué par la création du légendaire premier site permettant de désigner les plus jolies filles du campus. Le premier procès est celui de l’idée originelle voire du péché originel. Mark Zuckerberg a-t-il oui ou non “volé” l’idée de Facebook aux jumeaux Winklevoss ? Le second procès est celui d’un Caïn numérique qui a tué financièrement le cofondateur de l’entreprise. Eduardo Saverin (joué par un excellent Andrew Garfield) a financé les débuts de The Facebook avant de se faire sortir brutalement de la société alors que Facebook (le the est tombé sur les conseils de Sean Parker, fondateur de Napster) passait le million d’inscrits. Il avait naïvement signé sans le lire un contrat financier restructurant l’entreprise alors que ce contrat, différent de celui signé par les autres associés et investisseurs, le mettait à la merci d’augmentations de capital diluant sa participation.
Le film ne multiplie pas pour autant à l’excès les points de vue et l’ensemble reste très lisible. Son originalité tient à la dualité des procédures et à la particularité du débat mis en scène. L’espace de la confrontation juridique n’est pas la salle d’audience. On comprend bien dès le début (au cas où on ne le saurait pas déjà) que le véritable procès n’aura pas lieu. D’ailleurs, au plan juridique, la nature des procédures en cours n’apparait pas clairement pour un non familier de la procédure américaine. Dans le procès Winklevoss, l’instance a été effectivement engagée. Les dépositions ont lieu sous serment et sont retranscrites avec précision. Dans le procès qui oppose Zuckerberg à Eduardo Saverin, la forme juridique est moins présente. Cela donne d’ailleurs une force supérieure aux scènes relatives à l’opposition des deux anciens amis et associés. Mark Zuckerberg n’a manifestement jamais éprouvé que du mépris pour les jumeaux Wincklevoss alors que l’on peut penser qu’il a existé une forme d’amitié entre Zuckerberg et Saverin. Dans les deux cas, la confrontation, plus ou moins formelle selon l’affaire en cause, tient davantage de la négociation que de l’élaboration d’un jugement. Les deux différends ont d’ailleurs donné lieu à des transactions dont les termes ne sont pas connus avec précision. En définitive, The social networkrenouvelle d’une manière intéressante le court room drama en sortant du cadre processuel qui caractérisait largement le genre.
Sur le fond, la question est complexe en droit français mais aussi, pour ce que j’en sais, en droit américain. A priori, Zuckerberg a utilisé une idée des frères Winklevoss mais ceux-ci ne lui avaient donné aucune forme ni application quelconque. Traditionnellement, les simples idées ne sont pas protégeables car elles sont, selon la formule consacrée, de libre parcours. Ainsi, un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 9 octobre 2003 rendu à propos des fonctionnalités d'un logiciel a jugé qu’elles ne sont pas protégées en tant que telle dans la mesure où elles correspondent à une idée. Les choses sont devenues bien plus compliquées depuis que l’on a reconnu la valeur économique de certaines idées, parfois appelées concepts. La position traditionnelle est vivement contestée depuis plusieurs années par une partie de la doctrine et notamment par M. Philippe le Tourneau (inventeur de la notion de parasitisme). En France, comme aux États-Unis semble-t-il, il peut arriver que le juge protège une idée sans le dire expressément. Pour se limiter à la France, un créateur de site internet a pu obtenir la protection de son site par le droit de la propriété intellectuelle (CA Paris, 10 oct. 2003, Sté Belleville, protection d’un site internet à raison de l’originalité de son idée). De même un créateur d’un site a pu, sur le terrain de la concurrence déloyale obtenir la condamnation d’un concurrent qui, après avoir extrait des données du site, a démarché certains annonceurs en créant un risque de confusion avec lui (CA Paris, 21 nov. 2008, RG 07/10985, SARL Select à Domicile, SARL Auxidom c/ SARL Cariboo Networks).
Bien que le principe traditionnel soit maintenu, l’évolution du droit de la propriété intellectuelle justifie que face à une accusation telle que celle formulée par les frères Winklevoss et leur associé, on soit incité à rechercher une transaction afin d’éviter une décision judiciaire. Toutefois, il faut reconnaître (sans chercher à défendre Mark Zuckerberg) que les sites de socialisation fondés sur la même idée que TheFacebook étaient impossibles à dénombrer. L’idée était en réalité dans l’air du temps et ne présentait peut-être pas, à la réflexion, assez d’originalité pour être protégée même indirectement. Il en serait autrement s’il était établi que Mark Zuckerberg avait utilisé non seulement une idée mais des lignes de codes destinées à structurer le site des frères Winklevoss ; ce qu’il a toujours nié.
Il y aurait bien d’autres choses à dire de The social network. Sans doute l’aspect juridique est-il plus une technique de narration qu’un thème de l’œuvre mais il ne saurait être négligé tant il contribue à la réussite du film.
Nicolas MATHEY, Professeur à l'Université Paris Descartes
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