Mais le temps fort de ce festival fut pour moi la rétrospective Howard Hawks.
Y figuraient tous ses grands films, à l’exception peut-être du Vandale/Come and get out (E.-U., 1936)ou Air Force (E.-U., 1941). Ce qui frappe après avoir vu les dix-neuf longs métrages présentés cette année, c’est le parti pris du divertissement et une facilité à se répéter lui-même, voire à s’auto-parodier de la part d’Howard Hawks. Il avait d’ailleurs déclaré à Peter Bogdanovitch : « Quand vous trouvez quelque chose qui marche, vous pouvez bien recommencer ! » (François Chevassu, La Revue du Cinéma, avril 1969). Ce précepte est largement illustré dans plusieurs des films à l’affiche cette année, par exemple, la scène de la robe de Katherine Hepburn déchirée dans L’Impossible Monsieur Bébé/Bringing Up Baby (E.-U., 1938) reprise dans Le Sport favori de l’homme/Man's Favorite Sport? (E.-U., 1964), Rock Hudson, dans le second, essayant, à l’instar de Cary Grant dans le premier, de protéger l’intimité de Paula Prentiss, ou la scène du piano de Hatari (E.-U., 1962) imitée de Seuls les anges ont des ailes/Only Angels Have Wings (E.-U., 1939). Howard Hawks n’hésitera d’ailleurs pas à faire un remake d’un de ses films, il s’agit de Boule de Feu/Ball of Fire (E.-U., 1941) de 1941 qu’il tourna à nouveau en 1948 sous le titre de Si bémol et fa dièse/A song is born (absent de cette rétrospective), Danny Kaye et Virginia Mayo reprenant respectivement les rôles de Gary Cooper et Barbara Stanwyck.
Découvrir ou redécouvrir les films d’Howard Hawks sans respect de leur chronologie permet de mettre en avant une dimension de plaisir et de partage ; un autre élément est la fidélité à certains acteurs pour jouer les seconds rôles, choisie ou imposée par les studios, qu’importe, la présence récurrente de Walter Brennan (dans quatre des six rôles qu’il a joué pour Howard Hawks) ou de Noah Beery Junior (dans trois films sur les quatre collaborations avec Howard Hawks) ajoute une plaisante familiarité.
Sans vouloir établir de classement, il est certain que je place des comédies comme L’Impossible monsieur Bébé/Bringing Up Baby (E.-U., 1938), Boule de feu/Ball of Fire (E.-U., 1941), Allez coucher ailleurs/I Was a Male War Bride (E.-U., 1949) ou La Dame du Vendredi/His Girl Friday (E.-U. 1940) en tête de liste, en particulier à cause de la drôlerie des dialogues et le burlesque de certaines situations. Ce qui ajoute souvent à l’humour, outre les jeux de mots (pas toujours bien rendus dans les sous-titres), c’est le débit des comédiens, par exemple les échanges entre Katherine Hepburn (Susan) et Cary Grant (David Huxley) dans L’Impossible Monsieur Bébé ou les dialogues des journalistes dans La Dame du Vendredi. Pour mémoire, La Dame du vendredi est le remake de Front Page de Lewis Milestone, tous deux adaptés de la pièce de Ben Hecht, dont nous avons vu une troisième version par Billy Wilder sous le titre de Spéciale Première/The Front Page (E.-U., 1974) dans la rétrospective de 2013. L’un des intérêts du film de Howard Hawks est sans doute le choix d’une femme (Rosalind Russel) pour jouer le rôle de la journaliste vedette, Hildy opposée à son ex-mari et rédacteur en chef, Walter Burns (Cary Grant), qui veut la faire revenir au journal et l’empêcher d’épouser son fiancé.
Malgré l’extravagance du scénario de Boule de Feu/Ball of Fire (E.-U., 1941), j’ai été particulièrement sensible à l’énergie de Barbara Stanwyck (Sugarpuss) opposée à la balourdise de Gary Cooper (professeur Bertram Potts), à la cocasserie de certaines scènes (l‘allusion à l’épée de Damoclès et l’utilisation de la réflexion de la lumière par Archimède, nous sommes chez des savants !) ou à la tendresse de tous ces célibataires pour Sugarpuss, même après la révélation du pot aux roses. Enfin, Allez coucher ailleurs/I Was a Male War Bride (E.-U., 1949) n’est pas simplement une comédie où le travestissement de Cary Grant préfigure ceux de Jack Lemmon et Tony Curtis dans Certains l’aiment chaud/Some Like It Hot (E.-U., 1959), le film de Billy Wilder, c’est aussi un documentaire sur l’Allemagne de l’après-guerre où l’on découvre sur des kilomètres des ruines bombardées ou des ponts détruits. C’est peut-être ce qui assombrit un peu ce film où les décors sont uniformément sales, où les femmes sont presque toutes en uniforme et où la bureaucratie aveugle refroidit l’enthousiasme de l’amoureux Capitaine Henri Rochard (Cary Grant), contraint de s’affubler d’une queue de cheval, de porter une jupe et de s’appeler Florence pour pouvoir accompagner son épouse américaine outre-Atlantique.. Je passe rapidement sur Chéri, je me sens rajeunir/Monkey Business (E.-U., 1952), qui vaut encore une fois par les dialogues loufoques entre Edwina Fulton (Ginger Rogers) et son professeur de mari Barnaby Fulton (Cary Grant), par la multiplication des gags (B4 and after) et par un grand moment burlesque mettant aux prises Hank Entwhistle (Hugh Marlowe), ancien flirt d’Edwina et la tribu de jeunes indiens menée un Barnaby Fulton rajeuni de trente ans. Je conclurais sur les comédies par Le Sport Favori de l’Homme/Man's Favorite Sport? (E.-U., 1964) où Paula Prentiss peine à rivaliser avec Katherine Hepburn dans le rôle de la femme qui pourrit littéralement la vie de l’homme tranquille, ici Rock Hudson, plutôt en retrait (Cary Grant qui devait initialement jouer le rôle préféra tourner Charade de Stanley Donenavec Audrey Hepburn (E.-U., 1963)).
Dans un autre registre, j’ai bien sûr adoré les westerns :
- La Rivière Rouge/Red River (E.-U., 1948) avec John Wayne dans un rôle pour une fois peu sympathique et dans lequel Howard Hawks fait la part belle aux paysages pour conter un épisode fondateur de l’histoire de l’Ouest américain.
- La Captive aux yeux clairs/The Big Sky (E.-U., 1952) aux dialogues émaillés de français et où pour fois une femme (Teal Eye) ne parle pas dans un film de Hawks !
- Rio Bravo et son huis clos étouffant, à nouveau décliné dans El Dorado (E.-U., 1966), sans oublier le western africain Hatari (E.-U., 1962) avec un casting toutefois improbable mais dont on retiendra le fameux thème musical d’Henry Mancini qui accompagne les éléphanteaux en quête de leur mère, Elsa Martinelli.
Mais le film de Howard Hawks que j’ai préféré est décidément Le Port de l’angoisse/To Have and Have Not (E.-U., 1944), faux film noir, mais vrai film engagé, malgré le refus obstiné du Capitaine Harry Morgan (Humphrey Bogart) de prendre parti. Le film est emblématique car il signe la rencontre entre Humphrey Bogart et Lauren Bacall (Slim), dans le film et dans la vie (« Anybody got a match ? », scène anthologique des allumettes !) mais aussi parce que Hawks tourne en pleine Seconde Guerre Mondiale (1944) un vrai film antifasciste. C’est particulièrement visible dans la scène où le capitaine Morgan corrige le commissaire Renard, fonctionnaire vichyssois particulièrement zélé et retors. Un autre atout majeur de ce film est la présence de Hoagy Carmichael (compositeur, pianiste et chanteur, créateur entre autres de « Stardust » et « Georgia on my mind » !). Il joue le pianiste Crickett dont l’interprétation de « Hong Kong blues » est un moment particulièrement réjouissant de ce film plutôt dramatique.
Malgré le tandem Bogart/Bacall renouvelé dans Le Grand Sommeil/The Big Sleep (E.-U., 1946) la magie n’opère pas de la même manière, nous suivons avec plaisir l’enquête complexe de Philip Marlowe et sa romance avec Vivian Rutledge, mais l’épilogue laisse un peu sur sa faim.
Je pourrais encore évoquer Sergent York/Sergeant York (E.-U., 1941)(pour l’anecdote, le film reçut un accueil enthousiaste car il était à l’affiche lors de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941), Les hommes préfèrent les blondes/Gentlemen Prefer Blondes (E.-U., 1953)(détestables sous-titres de Diamonds Are a Girl's Best Friend), Une fille dans chaque port/A Girl in Every Port (E.-U., 1928)(avec Louise Brooks au générique !), Le Code Criminel/The Criminal Code (E.-U., 1931) (Boris Karloff y apparaissait quatre ans avant Frankenstein) ou Scarface/Scarface: Shame of a Nation (E.-U., 1932)(qui lança la carrière de George Raft), mais il faut faire des choix.
En conclusion, cinq films, à des titres divers, m’ont également marqué pendant ce festival. Du plus nostalgique au plus engagé :
- Jeux Interdits (France, 1952) avec la présence lumineuse de Brigitte Fossey pour présenter l’émouvant film de René Clément.
- Horizons lointains/Lost horizon (E.-U., 1937) le film de Frank Capra dont Hergé a dû se souvenir quand il a écrit Tintin au Tibet.
- Seuls sont les indomptés/Lonely Are the Brave (E.-U., 1962) avec un Kirk Douglas en perdant magnifique qui n’a plus sa place dans le Far West contemporain (et David Miller tourna ce film il y a déjà plus de cinquante ans !)
- Lili Marleen (All., 1981) dans lequel Rainer Fassbinder brosse le portrait féroce et lucide de l’Allemagne nazie, sans concession pour les compromissions des uns ou des autres, et avec une interprète merveilleuse en la personne d’Hannah Schygulla.
- Sacco et Vanzetti/Sacco e Vanzetti de Giulano Montaldo (France/Italie, 1971) qui m’a rappelé non sans nostalgie que la capacité d’indignation dans les années soixante-dix était sûrement moins émoussée qu’aujourd’hui.
Et je me rends compte que j’ai oublié de citer Le Faussaire/Die Fälschung de Volker Schlöndorff (All./France, 1980), Katka pomme reinette/Katka Bumajny ranet de Fridrikh Ermler et Edouard Joganson (URSS, 1926), La Maison de la Rue Troubnaïa/Dom na trubnoï de Boris Barnet (URSS, 1927), Gente de bien de Franco Lolli (France/Colombie, 2014), Jauja de Lisandro Alonso (Danemark/ Arg./France, Mexique/E.-U./All./P.-B., 2014), Amore Carne de Pippo Delbono (Italie/Suisse, 2011), Seconds. L’Opération diabolique/Seconds de John Frankenheimer (E.-U., 1966) et même On connaît la chanson d’Alain Resnais (France, 1997), tant pis, place à la quarante-troisième édition !
Claude Braud
Professeur d’anglais au CIEL
Université de La Rochelle
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