
Comme chaque année, le début du mois de juillet est dévolu au cinéma à La Rochelle. La 44e édition du Festival oscillait, comme ses devancières, entre hommages (Alain Guiraudie, Barbet Schroeder, Frederick Wiseman), rétrospectives (Carl Theodor Dreyer, Alberto Sordi, Jean Vigo), thématiques diverses (femmes cinéastes turques, documentaires d’animation), ciné-concerts et événements exceptionnels (à l’instar de cette projection de Cléo de 5 à 7 en présence d’Agnès Varda et de Michel Legrand). A défaut de don d’ubiquité et faute, par conséquent, de pouvoir prétendre à l’exhaustivité, nous ne livrerons ici que quelques impressions, dans un ordre aussi aléatoire que celui dans lequel le festivalier assiste aux projections. C’est donc à une rétrospective sous forme d’abécédaire que nous convions le lecteur dans les lignes qui suivent, en espérant ainsi transcrire adéquatement la succession contrastée de sentiments, d’enthousiasmes, de surprises, le cas échéant de déceptions, qu’éprouve le voyageur immergé pendant quelques jours dans un océan d’images et de sons.
A comme Atalante (L’)
Le seul long métrage de Jean Vigo, météore décédé à l’âge de 29 ans, a fait l’objet d’une restauration réalisée sous les auspices de Gaumont et nous est revenu, ainsi revigoré, à La Rochelle, précédé d’un court métrage consacré au nageur Jean Taris et d’une présentation émouvante de la fille du metteur en scène, Luce Vigo. Si les images ont ainsi tenu leurs promesses, tel n’est malheureusement pas le cas pour le son, décidément parent pauvre du travail de rajeunissement des grands chefs-d’œuvre du passé. Sous réserve de la détection imminente d’un grave problème de surdité, il était difficile à un appareil auditif de qualité moyenne de comprendre plus d’un mot sur trois, d’autant plus que l’articulation mâchonnante de Michel Simon n’aidait guère nos oreilles désespérément dressées. Tout occupé à cette tâche de devinettes sonores, on enrageait de ne pouvoir apprécier à leur juste valeur les qualités éminentes d’un coup d’essai dans lequel le temps qui passe et les cinéphiles (au premier rang desquels François Truffaut, qui considérait L’Atalante comme l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma) ont aussi reconnu un coup de maître.
V. aussi Vigo (Jean)
B comme Bourgeois
Flaubert l’avait déjà noté : avant d’être une classe sociale, la bourgeoisie est un état d’esprit – étriqué, veule, faible avec les forts et fort avec les faibles, intransigeant dans le conformisme et impitoyable avec la marginalité. Cet état d’esprit, le cinéma en rend compte en employant les tonalités les plus diverses : de la gravité dreyerienne à la satire corrosive de la comédie à l’italienne, les diverses facettes de l’esprit bourgeois sont découpées au scalpel pour mieux être exposées aux yeux d’un public qui reconnaît du reste souvent, in petto, une part de lui-même dans les comportements, attitudes et états d’âme ainsi mis à nu. C’est probablement l’employé Vivaldi, dans Un borghese piccolo piccolo de Mario Monicelli, qui incarne le mieux les différentes dimensions de cette Weltanschauung bourgeoise : sous des dehors badins, d’abord, avec des raffinements de froide cruauté, ensuite, il est, sous les traits d’un Alberto Sordi plus magistral que jamais, d’autant plus fascinant qu’il apparaît comme un miroir tendu vers chacun d’entre nous.
V. aussi Dreyer, Italie
C comme Coursive (la)
Le lieu culturel par excellence de La Rochelle, qui se transforme, le temps du Festival, en temple du dieu Cinéma : la grande salle, où se déroulent les soirées officielles, les projections les plus courues ou bien encore certains des happenings les plus improbables – à l’instar d’Agnès Varda, accoudée au piano de Michel Legrand, chantant (faux) les textes qu’elle avait elle-même écrits pour Cléo de 5 à 7 ; la salle bleue, plus intime, où les rétrospectives les plus diverses rassemblent les aficionados du 7e Art ; le théâtre Verdière, qui accueille des rencontres souvent passionnantes avec metteurs en scène, comédiens et autres aventuriers des toiles. Certes, bien des projections ont lieu ailleurs, dans les différents complexes cinématographiques qui ont essaimé dans la ville, mais, de ce corps immatériel et éphémère qu’est chaque édition du Festival, la Coursive en est comme le cœur battant
V. aussi Nouvelle Vague, Varda (Agnès), Wiseman (Frederick)
D comme Dreyer (Carl Theodor)
A côté de Carl Theodor Dreyer, Ingmar Bergman fait un peu figure de comique troupier : l’austérité du réalisateur danois est en effet d’une telle radicalité qu’elle rend trivial tout ce qui l’entoure. Mais, pour peu qu’on se laisse entraîner dans cet univers où la revendication de l’absolu (absolu de la foi, absolu de l’amour, absolu de la sincérité) est omniprésente, les émotions affleurent. C’est en tout cas l’expérience qui a pu en être faite à l’occasion de la rétrospective qui lui a été consacrée à La Rochelle, au cours de laquelle quelques-uns de ses films les plus emblématiques, aussi bien muets (Le président, Pages arrachées au livre de Satan, La Passion de Jeanne d’Arc) que parlants (Jour de colère, Ordet, Gertrud), ont été présentés, la plupart tournés au Danemark, quelques-uns en Suède ou en Allemagne et l’un – celui consacré à la Pucelle d’Orléans – en France. Quelle que soit la langue privilégiée, on retrouve la même exigence, les mêmes thèmes, la même sublimation de la femme, à la fois parangon de pureté et victime de la mesquinerie, de la méchanceté ou du fanatisme des hommes. Même si l’esthétique sans concession de Dreyer peut dégager une impression de froideur, même si, dans la lenteur de certains plans, il arrive que l’on ressente comme un subtil ennui, il est toujours question, en dernière instance, de sentiments puissants, voire irrépressibles : austérité de la forme et incandescence du fond, en somme. C’est bien une conception protestante du cinéma qui se donne ici à voir.
V. aussi Femmes, Jeanne d’Arc, Longueurs, Musique
E comme Ernest
Lorsque, ivre d’images et de sons, tantôt amolli par la chaleur de gymnase d’une salle, tantôt engourdi par l’air conditionné d’une autre, on ressent le pressant appel de l’estomac et lorsque, soucieux de profiter des quelques minutes qui séparent deux séances pour satisfaire ce besoin élémentaire, l’on se précipite hors de la Coursive, préoccupé toutefois de ne pas succomber à une nourriture propice à la digestion somnolente, un seul nom vient à l’esprit, comme la salive aux lèvres : Ernest. Le célèbre glacier de La Rochelle, avec ses parfums insolites (pêche de vigne, fraise à la menthe fraîche, chocolat blanc), constitue le havre où le festivalier, zombie titubant dans la lumière aveuglante, vient se ressourcer. Il y trouve la substance qui comble d’aise les sens que ne rassasie pas la fréquentation des salles obscures : odeurs exquises, goûts divins, doigts collants qui entourent la coupe fraîche – et il est déjà temps de se fondre dans l’ombre retrouvée des projections.
F comme Femmes
Si la femme est peut-être l’avenir de l’homme, elle est en tout cas le passé, le présent et, sans doute, le futur du cinéma. Non seulement parce que les réalisatrices ne cessent de s’affirmer à côté des réalisateurs (cfr. Nouvelle Vague, Toni Erdmann, Ustaoglu) mais parce que les personnages de femmes croisés à l’occasion de ce Festival attestent de l’inspiration et de la créativité qu’elles savent insuffler aux metteurs en scène et aux traditions les plus divers. Des femmes de la comédie à l’italienne – mères aimantes et possessives à l’intelligence instinctive, épouses accablées de maris veules, vulgaires, paresseux, fanfarons ou tout cela à la fois – aux femmes de Dreyer – dédiées à Dieu, à l’amour ou à l’amour de Dieu, telle cette Jeanne d’Arc incarnée par la lacrymale Renée Falconetti – en passant par les femmes confrontées à la tragédie des fils – à l’instar de Meryl Streep dans Before and after de Barbet Schroeder –, elles apparaissent souvent comme plus fouillées, plus touchantes, plus nuancées – en un mot, plus intéressantes – que la plupart des personnages masculins.
V. aussi Dreyer, Italie, Jeanne d’Arc, Nouvelle Vague, Toni Erdmann, Ustaoglu
G comme Guiraudie (Alain)
Parmi les metteurs en scène honorés cette année à La Rochelle figure Alain Guiraudie, dont la présentation des œuvres a confirmé la place à part dans le cinéma français contemporain. Si la plupart des cinéphiles se souviennent du récent L’inconnu du lac – un des rares films de Guiraudie à avoir connu un certain succès public –, la rétrospective rochelaise a permis de mesurer la cohérence et l’intégrité du parcours du metteur en scène occitan, depuis son moyen métrage Du soleil pour les gueux jusqu’à son dernier opus en date, Rester vertical, en passant par Ce vieux rêve qui bouge, qui lui vaudra… le prix Jean-Vigo. Décidément, tout se tient à La Rochelle.
V. aussi Homosexualité, Vigo (Jean)
H comme Homosexualité
Puisqu’il est question d’Alain Guiraudie, l’association d’idées est toute trouvée : et l’homosexualité dans tout ça ? Même si elle n’a pas toujours été à l’avant-plan des œuvres présentées cet été à La Rochelle, elle n’a pas été absente pour autant. Outre la rétrospective consacrée à Guiraudie, certaines figures de l’homosexualité ont affleuré en plusieurs occasions. D’abord, et a priori de façon étonnante, dans plusieurs des films présentés dans le cadre de la rétrospective dédiée à Alberto Sordi : la scène de la visite enjouée aux prostitués romains dans Il boom de Vittorio de Sica, le personnage d’Alberto dans I vitelloni de Federico Fellini (vivant encore à 30 ans chez sa mère adorée, très attaché à sa sœur, prompt à se travestir en femme au carnaval dans une Italie officiellement très machiste pourtant) et, plus généralement, ces fils à maman que leurs épouses ennuient ou persécutent. De quoi accorder quelque crédit à l’hypothèse de Dominique Fernandez, selon laquelle tous les mâles italiens sont peu ou prou homosexuels, si ce n’est en actes, ni même en pensées, en tout cas sous l’angle de la configuration psychique. De même, Antoine, le soldat en permission qui rencontre la route de Cléo, dans le film Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, est si éloigné de la représentation traditionnelle de l’homme triomphant, viril et protecteur, et dans le même temps si délicat, si raffiné et livresque que l’on n’a guère de peine à penser que, même campé par Antoine Bourseiller, l’ancien compagnon de Varda, il devait bien ressembler par quelque côté à Jacques Demy, si prisé au point d’être imité (mais jamais égalé) dans le cinéma gay contemporain (qu’il suffise de citer ici le travail d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau).
V. aussi Guiraudie, Italie, Sordi (Alberto), Varda (Agnès)
I comme Italie
En consacrant une rétrospective à Alberto Sordi, la 44e édition du Festival a fait la part belle à l’un des genres les plus riches, quoique relativement éphémère, de l’histoire du cinéma : la comédie à l’italienne. Eclose dans les années 1950, elle a fini par disparaître au tout début des années 1980, au moment où, plus généralement, l’âge d’or du cinéma italien était à l’agonie, ayant cédé le pas à la télévision – et de la pire espèce : celle diffusée dans tous les foyers de la Péninsule par Sua Emittenza. Les réalisateurs de cette période ont démontré un talent incomparable pour la combinaison, a priori inconcevable, de la farce et de la tragédie, distillant, dans des scènes mémorables, un humour aussi noir qu’un espresso napolitain, excellant aussi bien dans la narration de l’histoire collective de l’Italie (Una vità difficile de Dino Risi) que dans la peinture de mœurs (I Vitelloni de Federico Fellini, Il Boom de Vittorio de Sica), la satire sociale (Lo scopone scientifico de Luigi Comencini, Un borghese piccolo piccolo de Mario Monicelli) ou bien encore l’analyse quasi-ethnologique des disparités entre le nord et le sud de l’Italie (Mafioso d’Alberto Lattuada). Toutefois, libérée qu’elle est des constats ennuyeux, des développements éplorés et des dialogues noyés dans l’esprit de sérieux, la réalité, parfois dure, transparaît ici à travers le rire, grinçant, ironique, sarcastique, parfois cruel. Si l’on en croit le poète, la lucidité est la blessure la plus proche du soleil ; or le soleil, comme tout le monde le sait, est italien. Ecco.
V. aussi Bourgeois, Sordi (Alberto)
J comme Jeanne d’Arc
De la famille Le Pen à Emmanuel Macron, Jeanne d’Arc aura servi toutes les causes mais qui est-elle vraiment, la Pucelle d’Orléans ? Une jeune femme, presque une enfant, à la foi naïve, persuadée d’avoir été envoyée par Dieu pour sauver le Royaume de France de l’envahisseur anglais. Les minutes de son procès ayant été conservées, il a été possible d’en reconstituer assez exactement cette trame. C’est cette dernière qui sert de support à l’un des chefs-d’œuvre de Dreyer, La Passion de Jeanne d’Arc, dont une version admirablement restaurée a été présentée au son des orgues de l’église Saint Sauveur, tenues pour l’occasion par Karol Mossakowski, par ailleurs auteur de la partition originale qui accompagnait ce somptueux spectacle. Spectacle de trognes inoubliables filmées en contreplongée – celles des juges de Jeanne, parmi lesquels un très reconnaissable Antonin Artaud et un moins reconnaissable Michel Simon –, cependant qu’une vue plongeante détaille, au moyen de plusieurs plans fixes, le visage extatique, baigné de larmes, de Jeanne – emblématique Renée Falconetti : l’image, qui traduit la position des protagonistes et la vision qu’ils ont les uns des autres (Jeanne levant la tête vers ses juges, eux la toisant depuis l’estrade), incarne ainsi esthétiquement l’orgueil insensé des uns et l’humble soumission de l’autre. Spectacle d’une intégrité et d’une ferveur telles qu’il nous aura presque fait oublier la torture insidieuse des chaises d’église sur lesquelles nous étions assis...
V. aussi Dreyer (Carl Theodor), Femmes, Musique
K comme Kaléidoscope
Le mot qui vient immédiatement à l’esprit quand on court d’une salle à l’autre, d’un film, d’un metteur en scène, d’un genre à l’autre. Impression d’étourdissement à certains moments et puis, en certaines occasions, sentiment que, par-delà les différences apparentes, des fils souterrains relient entre elles des œuvres perçues pourtant comme radicalement étrangères les une aux autres. C’est peut-être que, comme l’écrivait Schopenauer à propos de l’histoire, le cinéma « a beau prétendre nous raconter toujours du nouveau, [il] est comme le kaléidoscope : chaque tour nous présente une configuration nouvelle, et cependant ce sont, à dire vrai, les mêmes éléments qui passent toujours sous nos yeux » (Le monde comme volonté et représentation).
L comme Longueurs
S’il est intellectuellement honnête, l’amateur le plus acharné de Wagner confessera qu’ici ou là, à tel moment de Lohengrin, dans tel interminable développement de Parsifal ou bien au terme d’un Ring écouté de bout en bout, il aura pu éprouver quelque ennui. De même fera l’admirateur le plus enthousiaste de Tolstoï ou de Proust. Aussi, même le cinéphile le plus endurant reconnaîtra-t-il, pourvu qu’il soit de bonne foi, que son esprit peut à l’occasion vaquer, à la faveur d’une scène un peu trop languissante, d’un monologue légèrement pompeux ou d’un plan aussi fixe qu’une idée de Madame Le Pen sur l’immigration. Il ne faut pas céder pour autant à la culpabilité ; ce serait trop facile. L’ennui a bien des vertus, en effet : il permet un assoupissement réparateur, il autorise l’esprit à vagabonder et, d’une certaine façon, lorsqu’il s’éloigne de nous, nous pouvons alors d’autant plus apprécier ce qui retient notre attention dans un film. Il faut dès lors savoir aussi savourer les longueurs, même si certaines d’entre elles semblent refléter une image assez exacte de ce que doit être le purgatoire.
M comme Musique
Le cinéma, ce n’est pas que de l’image ; c’est aussi du son. Et le son, ce n’est pas que du dialogue ou des bruits ; c’est aussi de la musique. Les plus grands cinéastes du parlant ont accordé une importance centrale à la musique dans leurs films, quand bien même celle-ci n’était pas une œuvre originale commandée pour les besoins de la cause à un compositeur vivant. Il n’est que d’entendre ce que Kubrick est parvenu à faire du trio op. 100 de Schubert dans Barry Lindon, de l’ouverture de La gazza ladra de Rossini dans A Clockwork Orange ou bien de la musique pour cordes, percussions et célesta de Bartok dans The Shining pour s’en convaincre. A fortiori en va-t-il pour le cinéma muet : l’accompagnement musical peut être pour beaucoup dans la réussite d’une projection. L’excellente partition, originale pour le coup, de Karol Mossakowski a ainsi grandement contribué au succès de la projection de La Passion de Jeanne d’Arc à l’église Saint Sauveur. D’autres émotions musicales ont parsemé cette 44e édition du Festival, procurées, entre autres, par les mélodies inoubliables de Nino Rota, déjà à son meilleur dans I vitelloni de Federico Fellini, les chansons qui rythment Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda ou ce lied de Brahms que Gertrud, l’héroïne du film éponyme de Dreyer, ne parvient pas à chanter jusqu’au bout lors de la réception organisée en hommage au poète Gabriel Lidman, son ancien amant. Nietzsche avait raison, décidément : sans la musique, la vie serait une erreur.
V. aussi Dreyer (Carl Theodor), Italie, Nouvelle Vague
N comme Nouvelle Vague
La présence d’Agnès Varda à la Rochelle cette année a constitué un hommage renouvelé à la Nouvelle Vague, dont la jeune fille de 88 ans est l’une des représentantes les plus emblématiques, même s’il paraît malaisé de réduire son œuvre à une mouvance artistique bien déterminée. Elle est venue présenter Cléo de 5 à 7, film en quelque sorte expérimental qui raconte deux heures de la vie d’une femme qui craint d’être atteinte d’un cancer et est dans l’attente de ses résultats. Résumé ainsi, on pourrait craindre le pire. Pourtant, même si l’expérience n’est pas pleinement convaincante en raison de l’artificialité du dispositif et de l’assez agaçant côté « pauvre petite fille riche » de l’héroïne, il ne s’agit pas moins d’un divertissement rafraîchissant et acidulé à la fois, ponctué de quelques chansons écrites par Varda et mises en musique par Michel Legrand et doublé d’un film dans le film, sous la forme d’un muet burlesque où apparaissent quelques jeunots de l’époque (nous sommes en 1961) : Anna Karina, Danièle Delorme, Jean-Claude Brialy, Sami Frey et quelques autres. Almodovar n’a rien inventé à cet égard. Les chansons du film seront ensuite reprises dans la grande salle de la Coursive par la parolière et le compositeur, avant une séance de dédicaces à laquelle se joindra la délicieuse Macha Méril.
O comme O (Histoire d’)
L’été est propice au déploiement de la libido, a-t-on coutume d’avancer. Rien de très libidineux à se mettre sous la dent à l’occasion de cette édition du Festival toutefois, sous réserve de quelques plans explicites dans L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie. Pourtant, l’histoire du cinéma n’est pas avare en scandales plus ou moins pornographiques (du Dernier tango à Paris à Nymphomaniac en passant par L’Empire des sens). Une suggestion de thématique pour 2017 afin de faire monter la température au cas où le climat serait aussi maussade qu’en 2016 ?
V. aussi Guiraudie (Alain), Homosexualité
P comme Procès
Quoi de plus propice au développement dramatique que le rituel du procès ? Il n’est pas étonnant que d’innombrables productions artistiques (romans, pièces de théâtre, tableaux, sculptures et, bien entendu, films) s’en soient inspiré. Au nombre des fils qui relient entre elles des œuvres apparemment étrangères les unes aux autres (cf Kaléidoscope), celui du procès n’aura dès lors pas manqué ici, tantôt sur le ton de la farce (Il vigile de Luigi Zampa, Una vità difficile de Dino Risi, La più bella serata della mia vità d’Ettore Scola – lui-même inspiré d’un court roman de Dürenmatt ultérieurement transformé en pièce de théâtre, La panne), tantôt dans une veine tragique (La Passion de Jeanne d’Arc et Jour de colère de Carl Theodor Dreyer), non seulement sous la forme de la fiction mais aussi sous celle du documentaire (L’avocat de la terreur de Barbet Schroeder), aussi bien dans son déroulement, familier à nos esprits, propre à la tradition romaniste que dans l’approche, plus dramaturgique encore, de la Common Law (Before and after de Barbet Schroeder encore). Dès lors que le droit, notamment dans sa forme processuelle, est un spectacle, le juriste ne saurait se désintéresser de toute forme spectaculaire (théâtre, opéra, cinéma) ayant pour objet ce spectacle même. Car la représentation artistique contribue à forger l’imaginaire collectif et influe sur nos conceptions des phénomènes sociaux (combien de juges français se sont-ils entendu appeler « Votre Honneur » par des justiciables férus de séries télévisées anglophones ?). Elle façonne en partie la vision que les spectateurs, par ailleurs sujets de droit ou même acteurs du système juridique, se font du droit. Méconnaître les représentations artistiques des phénomènes juridiques, en particulier dans ce que l’on appelle la culture populaire, c’est sans doute manquer une dimension essentielle des ressorts de l’efficacité et, le cas échéant, des ratés des ordres juridiques positifs. Fréquenter les salles obscures constitue ainsi un excellent moyen de prendre la mesure de l’insuffisance d’une conception exclusivement techniciste de l’étude de la norme juridique et de son application et d’apprécier en conséquence les vertus inestimables de l’interdisciplinarité.
V. aussi Dreyer (Carl Theodor), Femmes, Italie, Jeanne d’Arc, Sordi (Alberto), Wiseman (Frederick)
Q comme Quiétude
Comme le rappelait Malraux, le cinéma est une industrie. Et, ajoutera-t-on, les circuits de distribution du cinéma sont un commerce. A l’ère des multiplexes, on ne peut manquer de le noter : il est loin, le temps, somme toute artisanal, où d’accortes ouvreuses passaient pendant l’entracte avec des esquimaux que l’on s’empressait d’avaler avant que le spectacle reprenne. Désormais, une séance de cinéma sert aussi – peut-être surtout – à vendre des produits annexes : océans de sodas, montagnes de pop-corn, vallées de bonbons emballés dans des papiers que l’on arrache bruyamment et sans vergogne. L’obscurité des lieux permet aussi aux goujats de consulter leur téléphone portable et parfois même de passer certains messages dans une relative impunité. Le plaisir du cinéphile consiste à fuir ces temples de la consommation et à se réfugier dans les cinémas d’art et d’essai, qui tiennent vaille que vaille. Et encore : là même, d’incongrus visiteurs, qui se sont sans doute trompés de crémerie, parviennent parfois à rompre la sobriété des lieux et de ses occupants habituels, férus de bonnes toiles. Il n’y a plus guère que dans des festivals comme celui de La Rochelle, qui fait la part belle aux rétrospectives, que l’on est à peu près certain de ne croiser que des aficionados du 7e art et de goûter au silence quasi-religieux (hormis quelques quintes de tuberculeux ou d’allergiques à l’air conditionné) qui, idéalement, devrait accompagner toute projection. Grand plaisir que celui de voir (et d’entendre) une assemblée manifester ainsi le respect que l’on doit aux productions artistiques et aux artistes.
R comme Récupération
Il n’y a pas à dire : être un marathonien du cinéma n’est pas de tout repos. La position assise, d’apparence confortable, fait un peu trop aisément oublier qu’enfiler trois, quatre ou cinq séances quotidiennes presque sans interruption relève presque du rite pénitentiel. Il est donc nécessaire de s’aérer l’esprit, le corps et le cœur. Pour cela, rien de tel qu’une solide amitié, qui plus est une solide amitié locale, grâce à laquelle il est possible de déambuler dans la merveilleuse petite ville de pierres blanches, de dégoter un bistro sympathique, de s’asseoir au soleil pâle pour un rapide déjeuner, voire de goûter aux produits locaux dans le jardin anglais de ladite amie. Comme en d’autres domaines, la jouissance solitaire au cinéma est un pis-aller ; le plaisir (et ce qui suit le plaisir) s’épanouit davantage dans le partage.
S comme Sordi (Alberto)
Est-il besoin de souligner que la rétrospective consacrée à Alberto Sordi a été un enchantement pour les amateurs de grands numéros d’acteurs ? Sordi fut en effet un des comédiens les plus extraordinaires de son époque. On ne voit souvent en lui que le comique mais quel génie dans le comique ! Epoux volage, employé obséquieux, agent de police faussement abruti, séducteur facétieux, trentenaire oisif, quasi-retraité inquiétant, fils aimant ou indigne, selon le cas, il aura endossé les rôles les plus variés et aura contribué à donner à la comédie à l’italienne certaines de ses compositions les plus inoubliables. Toutefois, la leçon du grand Chaplin n’a pas été oubliée : se contenter de faire rire sans émouvoir, sans toucher, sans donner à penser, ne prédispose guère à la postérité. Or ce qui fait la force de Sordi, c’est que, même lorsqu’il incarne des ratés, des maladroits ou des serviles, il les rehausse toujours d’une humanité ou, à tout le moins, d’une fêlure, qui passe parfois simplement par une mimique, une façon de regarder, un soupir : derrière le pitre magnifique, les failles et les fragilités de personnages bien plus complexes qu’il y paraît. Un condensé de tout son art réside dans le dernier sketch de I Nuovi Mostri, au cours duquel un éloge funèbre à un comique décédé se transforme en un irrésistible hymne bouffon à la vie. De toute évidence, les héritiers de Sordi devraient être remboursés par la Sécurité sociale.
V. aussi Bourgeois, Homosexualité, Italie, Procès
T comme Toni Erdmann
Le film de Maren Ade, scandaleusement oublié dans le palmarès du dernier Festival de Cannes, est la preuve que le cinéma allemand – dont la version contemporaine est, sauf quelques exceptions, souvent lourde de didactisme et dénuée d’humour – peut s’autoriser des échappées dans le burlesque, même s’il n’était pas lui aussi exempt de quelques longueurs. Relativisons d’emblée cette réticence toutefois : mieux vaut, en tout état de cause, passer 2h44 avec Toni Erdmann que 50 minutes avec Derrick !
V. aussi Femmes, Longueurs
U comme Ustaoglu (Yesim)
En mettant à l’honneur, entre autres, la réalisatrice Yesim Ustaoglu, les organisateurs du Festival de La Rochelle entendaient braquer les projecteurs sur le cinéma turc contemporain au féminin : onze films au total, et la présence souriante de Yesim Ustaoglu elle-même et de Deniz Akçay. L’ironie de l’histoire a voulu que, quelques jours à peine après la clôture du Festival, la Turquie ait été en proie à une tentative de coup d’Etat qui a fourni à son président le prétexte tout trouvé pour consolider son emprise sur le pays. Rien d’étonnant à ce que les chercheurs et les universitaires aient été parmi les premiers à subir le contrecoup de cette reprise en mains. Dans la foulée, ce seront à n’en pas douter les artistes qui se trouveront dans le viseur de M. Erdogan, a fortiori lorsqu’il s’agit de femmes. Depuis le confortable régime politique où nous nous trouvons, même sous le coup de l’état d’urgence, nous ne pouvons que témoigner à Yesim Ustaoglu et à ses concitoyens toute la sympathie et le soutien que l’on doit aux individus épris de liberté.
V. aussi Femmes
V comme Vigo (Jean)
La valeur n’attend pas le nombre des années, dit-on. Jean Vigo, mort à 29 ans, en est sans doute un exemple éclatant. Auteur d’un seul long métrage (L’Atalante), à la sortie duquel il n’aura même pas le temps d’assister, il a également réalisé des moyens métrages marquants pour l’histoire du cinéma (Zéro de conduite) et des courts métrages qui, pour être souvent des œuvres de commande, n’en ont pas moins été l’occasion pour Vigo de tester certaines options scénaristiques ou esthétiques (La natation par Jean Taris, champion de France). A l’instar d’un Pergolèse en musique ou d’un Radiguet en littérature, Vigo aura été riche de promesses que la brièveté de sa vie aura empêché de porter leurs fruits. A travers le Prix Jean-Vigo, la conservation de sa mémoire permet toutefois de mettre en lumière le talent de réalisateurs à l’aube de leur carrière, de sorte que, quand bien même sa propre fille, Luce, est aujourd’hui une honorable vieille dame, l’un des cinéastes les plus talentueux de son temps est resté tel qu’en lui-même enfin l’éternité ne le changera jamais : définitivement jeune.
V. aussi Atalante (L’)
W comme Wiseman (Frederick)
Ancien professeur de droit, Frederick Wiseman est l’un des plus grands documentaristes vivants. A l’occasion de l’hommage qui lui était rendu à La Rochelle, l’auteur de Titicut follies s’est notamment prêté de bonne grâce aux questions d’Antoine Guillot (France Culture) et du public venu en masse au théâtre Verdière (au sein duquel on reconnaissait le cinéaste Nicolas Philibert), afin d’expliciter certains aspects de sa démarche. Qu’il s’agisse d’institutions d’enseignement (High School), d’enfermement (Titicut follies), de soins (Hospital) ou d’aide sociale (Welfare), le cinéaste s’immerge toujours dans son sujet au point d’anticiper ce que les sociologues appellent « l’observation participante ». Certes, il ne s’agit pas pour Wiseman d’interférer avec ce qu’il filme mais sa présence permanente au sein des institutions qu’il investit avec sa caméra confère à son travail une double dimension : rigueur et distanciation, d’une part ; empathie et compréhension des êtres, d’autre part. Il n’est guère étonnant que la sociologie américaine (notamment Howard S. Becker dans Comment parler de la société. Artistes, écrivains, chercheurs et représentations sociales, Paris, La Découverte, 2009) ait accordé une telle importance aux films de Frederick Wiseman : ils en disent souvent plus sur les rouages des machines bureaucratiques que bien des traités universitaires. De quoi, ici encore, encourager une démarche interdisciplinaire par le rapprochement des disciplines artistiques et des sciences sociales.
X comme Xénophilie
A l’instar de La Rochelle, ville ouverte sur le monde, le cinéma dépasse les frontières et emmène parfois le spectateur loin de lui-même. C’est le mérite du festival de peaufiner sa vocation universaliste et de se projeter bien au-delà de la France et de la langue française. Le cinéphile voyage ainsi à travers le temps et l’espace, s’imprègne de cultures parfois très différente de la sienne, rit, souffre, s’inquiète avec des personnages qui lui sont rarement familiers et, au bout du compte, se découvre une proximité de sentiments et d’affects avec ce qui lui paraissait jusqu’alors parfaitement étranger. Certaines jeunes filles éprouvent généralement une sensation analogue lorsque, lisant Guerre et Paix, elles se prennent de sympathie, voire d’un amour livresque, pour le Prince André, qui n’est après tout qu’un aristocrate russe assez éloigné d’une chambre d’adolescente du XXIe siècle. Au contraire de cette passion triste qu’est la xénophobie, le cinéma, comme les arts en général, nous conduit souvent à aimer les autres, ceux qui ne sont pas comme nous. Au risque de passer pour un bisounours, suivant la terminologie en vogue chez quelques pamphlétaires bas de plafond, un tel sentiment rassérène et incite à ne pas complètement désespérer de la nature humaine.
Y comme Yeux
Une paire est nécessaire pour apprécier le Festival de La Rochelle à sa juste valeur.
Z comme Zzzzzz
V. aussi Longueurs
Nicolas Thirion,
Professeur ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Liège
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